Le projet de loi asile et immigration, petit décryptage

Par le 15/03/2018 0 756 Views

Le projet de loi asile et immigration, présentée au Conseil des ministres du 21 février 2018, est au centre de nombreux débats. Les acteurs associatifs, le défenseur des droits, tous à l’unanimité la pointent du doigt. La cause, le durcissement qui semble émaner de la part du gouvernement sur les futures politiques d’immigration. Un recul des droits est consacré et va, en cas d’adoption par le Parlement, considérablement dégrader la situation d’un très grand nombre de personnes étrangères sur le territoire français, par un affaiblissement de garanties et droits fondamentaux. S’il est vrai que certaines mesures protectrices semblent bien présentes, ce projet de loi instaure principalement un renforcement des restrictions, de contrôles qui conduisent à restreindre l’entrée, mais aussi à expulser et à bannir.

Ce projet de loi, répond tel aux enjeux migratoires de notre temps, est-il conforme aux engagements nationaux et internationaux de la France? Nous allons décrypter quelques points du projet de loi « asile et immigration » et souligner les restrictions qui semblent être en totale contradiction avec les principes fondamentaux. Un projet de loi, est un texte qui est destiné à devenir une loi, elle émane du gouvernement. Après avoir été adopté en Conseil des ministres, il est soumis au Parlement en vue d’être voté par celui-ci. La procédure d’élaboration des projets de loi est régie par l’article 39 de la constitution de la Ve République. Que présente le projet de loi asile et immigration, quelques points essentiels de cette mesure? La question de l’immigration est au cœur des préoccupations des Etats membres de l’Union, faisant les politiques et créant des mouvements. La France n’échappe pas au prisme de ce contexte. En effet, depuis plusieurs années, l’on peine à traiter le phénomène. Pour gérer ces flux, les gouvernements tentent d’ajuster leurs politiques et c’est dans ce contexte que la loi asile et immigration, portée par le ministre de l’Intérieur, Gérard Colomb, vient se poser. Nous allons axer notre décryptage sur 8 points du projet de loi :
1 – la réduction des délais
2 – l’augmentation de la durée de rétention
3- rétention, expulser sans attendre la décision du juge
4 – l’instauration d’une retenue qui s’apparente à une garde a vu
5 – une multiplication accrue des mesures de contrôle
6 – une entrée en France, dépénaliser pour mieux pénaliser
7 – l’instauration d’une justice d’exception : visioconférence
8 – la demande de titre de séjour en parallèle d’une demande d’asile: un droit existant limité

 

1- la réduction des délais :

Ce que prévoit le projet de loi aux articles 5 & 8, le projet de loi réforme les procédures de demande d’asile présupposant que les personnes sollicitant l’asile sont informées et disposent de quoi faire valoir leurs droits assez facilement et rapidement. Ce qui est éloigné de la réalité, nombreux demandeurs arrivent en France, sans avoir la moindre notion des droits qui sont les leurs, certains s’expriment en français sans vraiment le comprendre tandis que d’autres parlent une langue étrangère d’où la nécessité d’interprète (aucune disposition exigeant sa présence).
Une réduction de délai implique une circulation de l’information, mais surtout, s’assurer que la personne étrangère l’ai comprise afin qu’il puisse entamer les procédures nécessaires. Avec les délais actuels, l’information ne circule pas et les demandeurs sont obligés de solliciter les acteurs associatifs. À leur arrivée sur le territoire, sous 90 jours (60 jours en Guyane). Les personnes étrangères doivent décider de déposer une demande d’asile. Celles qui le font, verront leur situation examinée en procédure accélérée, sans droit à l’hébergement ni à l’allocation. Quant à celles qui auront la chance de ne pas tomber sous le coup de la procédure accélérée, qui concernait déjà en 2016 près de 40 % des demandes et 21 % en 2017: plus que 15 jours pour écrire, en français, à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Suite à quoi, dans de nombreux cas, l’audience se fera par visioconférence. Durant la procédure, l’examen du recours ne garantis aucunement à la personne étrangère le droit de demeurer en France. En effet, les personnes originaires de pays dit « sûrs », qui demandent un réexamen de leur cas ou qui sont considérées comme des menaces à l’ordre public, devront saisir sous délai le juge administratif pour avoir le droit de demeurer sur le territoire français. Dans ce cas, elles seront privées d’hébergement ou d’allocation, assignées à résidence ou enfermées en rétention. Toutes ces mesures, semblent clairement aller à l’encontre du droit d’asile et du droit européen, elles ne visent qu’à dissuader les personnes de demander la protection de la France et à les priver de toute ressource.
La réduction du délai d’instruction, mis en place par le projet de loi, vient fragiliser la procédure de demande d’asile, en rabotant le délai d’appel à la cour nationale du droit d’asile et en multipliant les procédures accélérées ou encore en supprimant le recours suspensif pour un grand nombre de cas de demandes d’asile.

 

2 – l’augmentation de la durée de rétention :

Ce que prévoit le projet de loi à l’article 13, en 2011, le passage de 32 à 45 jours de rétention a été inefficace : le nombre d’expulsions a diminué. En revanche, de nombreuses personnes ont souffert d’une privation de liberté. En 2016, seules 1 000 personnes ont été libérées au bout de 45 jours d’enfermement. Si ce projet de loi permettait d’expulser ces personnes, le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne serait relevé que de 1 %. C’est peu probable que ce résultat soit atteint puisque seuls 170 laissez-passer consulaires, dont dépendent les expulsions, ont été délivrés hors délai en 2016. La durée de rétention n’a visiblement aucune incidence significative sur le nombre d’expulsions. En 2016, l’Allemagne et le Royaume-Uni, où l’on peut enfermer jusqu’à 18 mois, ont expulsé respectivement 26 654 et 10 971 personnes alors que la France, a expulsé 37 362.

Le respect des droits serait beaucoup plus efficace et moins coûteux (en rétention, il y a plus de 30 % des libérations par décision de justice). Aucun gouvernement français n’avait envisagé de porter la durée légale de rétention à 90 à 135 jours : une mesure qui semble inefficace et disproportionnée quand l’on constate que la rétention n’entraîne pas nécessairement l’expulsion, mais consiste à retenir, la politique instaurée en 2011 avec le passage de 32 à 45 jours en est le parfait exemple.

 

3 – rétention, expulser sans attendre la décision du juge :

 

Ce que prévoit le projet de loi à l’article 13, saisi par la personne étrangère d’une part, et par la préfecture d’autre part, le Juge des Libertés et des Détentions (JLD) contrôle la procédure de rétention, en cas de non-respect de la loi par la police ou le préfet, la personne étrangère est remise en liberté. La loi Cazeneuve de 2016 avait rétabli une intervention du JLD dans les 48 premières heures de la rétention, il est désormais question de revenir aux effets de la loi Besson de 2011 qui l’avait repoussée à cinq jours. Cette intervention tardive du JLD, expose la personne étrangère et conduit à une explosion du nombre d’expulsions sans audience préalable devant un juge.

Depuis la réforme de 2016, saisi dans les 48 heures et jugeant en 24 heures, le JLD peut contrôler le respect de la procédure, avant que l’administration puisse expulser et donc bien s’assurer du respect de la loi et des droits des intéressés. En repoussant ce délai de 24 à 72 heures, l’on risque d’assister à une augmentation des expulsions sans contrôle, et sans droit à un procès équitable.
Retarder l’intervention du juge des libertés et de la détention permettra d’expulser plus facilement avant toute vérification des procédures légales de la rétention. C’est un retour au dispositif controversé du JLD après cinq jours de rétention.

 

4 – l’instauration d’une retenue qui s’apparente à une garde a vu :

 

Ce que prévoit le projet de loi à l’article 16, la loi du 31 décembre 2012 a créé une mesure réservée aux personnes étrangères pour lesquelles la police soupçonne un séjour irrégulier sur le sol Français : La retenue pour vérification du droit au séjour. L’utilisation de la garde à vue avait été rendue illégale suite à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE Première Chambre, 28 avril 2011, Hassen El Dridi, alias Soufi Karim) dépénalisant le séjour irrégulier. Or, la garde a vu, qui est une privation de liberté, est liée à un délit. Le régime de la retenue est donc censé être moins répressif, puisqu’il n’y a pas de délit. Pourtant avec le projet de loi asile et immigration, l’on prévoit d’aligner la durée de la retenue sur celle de la garde à vue en passant de 16 à 24 heures.

Depuis 2012, l’administration ne prend pas toujours la peine d’examiner les situations de personne pendant la durée de la retenue. Nombreuses sont celles qui se retrouvent donc enfermées en centre de rétention abusivement. Plutôt que de chercher à éviter ces situations, le texte prévoit une restriction des droits des personnes et des pouvoirs élargis pour la police : fouille des bagages ou prise des empreintes. L’allongement de la durée de la retenue fait peser une durée de privation de liberté disproportionnée sur les personnes qui seront interpellées. Le projet de loi entend allonger la durée de la retenue dans un commissariat de 16 à 24 heures. Elle s’apparenterait alors à une garde a vu dédiée aux personnes étrangères.

 

5 – une multiplication accrue des mesures de contrôle :

 

Ce que prévoit le projet de loi aux articles 11 et 14, l’assignation à résidence, présentée d’abord comme une mesure alternative à la rétention est utilisée et revendiquée par l’administration comme un outil complémentaire à la rétention. Le projet de loi en prévoit sa généralisation. Toutes personnes étrangères qui se voient refuser sa demande de titre de séjour ou d’asile, pourraient être assignées à résidence chez elles ou dans leurs lieux d’hébergement.

L’administration pourrait désormais obliger les personnes à rester à leur domicile de 4 à 10 heures par jour. Lors de cette « rétention hors les murs », l’expulsion peut avoir lieu à tout moment, soit lors du pointage quotidien, soit au domicile. Le projet de loi permet d’assigner à résidence et de contrôler de manière stricte et arbitraire les personnes étrangères.

 

6 – une entrée en France : dépénaliser pour mieux pénaliser :

 

Ce que prévoit le projet de loi à l’article 16, l’entrée irrégulière en France est dépénalisée, tout comme le séjour irrégulier l’avait été en 2012 pour privilégier l’expulsion plutôt que la prison.

Cette dépénalisation est le fruit de textes européens visant à harmoniser les politiques des Etats membres. Avec cette disposition, toute personne étrangère qu’elle soit sans-papiers, touriste, en déplacement professionnel, ou même ressortissante d’un pays européen devrait entrer en France par l’un des 119 points de passage frontaliers du littoral métropolitain ou, en période de rétablissement des contrôles aux frontières — comme c’est le cas depuis deux ans et demi — par un des 285 points de passage autorisés, et ce, uniquement aux horaires
d’ouverture de ces points de passage. Dans ce dernier cas de figure, une personne qui franchit un col alpin ou passe par des sentiers détournés pourrait ainsi être placée en garde à vue et condamnée jusqu’à un an de prison et 3750 euros d’amende. Cette pénalisation s’appliquerait aussi aux personnes étrangères entrant sur les territoires d’outremer.
Dépénalisation de l’entrée irrégulière d’une part et obligation de passer aux heures d’ouverture d’un poste-frontière, sous peine de prison. Le projet de loi sanctionne le franchissement des frontières.

 

7 – une justice d’exception par visioconférence :

 

Ce que prévoit le projet de loi aux articles 6, 10 et 13, de la Cour nationale du droit d’asile, devant le tribunal administratif ou le juge des libertés et de la détention, en zone d’attente ou en rétention, la visioconférence pourra être utilisée sans même que soit requis le consentement de la personne étrangère. Leur avocat peut siéger à côté du juge plutôt qu’à leurs côtés et le juge peut siéger là même où elles sont enfermées. Sans compter les délais de recours et les garanties procédurales drastiquement réduits.

Volonté assumée de développement une justice d’exception. Le projet de loi vise à entériner la création d’une justice d’exception pour les personnes étrangères, en banalisant l’usage de la visioconférence dans de multiples procédures au mépris du consentement de la personne.

 

8 – Demande de titre de séjour en parallèle d’une demande d’asile :

 

Un droit existant limité Ce que prévoit le projet de loi à l’article 20, le projet de loi prévoit la possibilité de demander, en parallèle de l’instruction d’une demande d’asile par la France, un titre de séjour pour un autre motif. Ce droit existe déjà, même si en pratique, nombre de guichets refusent, et ce,
de manière irrégulière. En explicitant ce droit, le projet de loi en profite pour en exclure certaines personnes :

• Les personnes dublinées.

• Le dépôt de la demande de titre de séjour serait encadré dans un délai, au-delà duquel il serait obligatoire de justifier de « circonstances nouvelles ».

Près de 60000 personnes déboutées seraient possiblement entravées dans leur accès au séjour. En explicitant la manière de déposer une demande de titre de séjour en parallèle d’une demande d’asile, le projet de loi limite ce droit et exclu de fait certaines concernés.

Dans le projet de loi asile et immigration, les mesures qui sont susceptibles d’améliorer les droits ou garantir une meilleure protection des personnes étrangères sont indiscutablement présente, mais ne concernent qu’une infime proportion des personnes étrangères, car elles concernent explicitement les victimes d’excisions, apatrides ou titulaires de la protection subsidiaire et victimes de violences conjugales. Pour toutes les autres personnes étrangères, c’est le volet répressif que le gouvernement entend proposer, à cela, plusieurs dispositions techniques vont dans le sens de la réduction des droits (accélérer la notification des décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, élargir le nombre de cas pour lesquels une obligation de quitter le territoire français n’est pas assortie d’un délai de départ volontaire, etc.).

Le projet de loi asile et immigration, ne prévoit rien pour les « Dublinés » qui souhaite demander l’asile en France ou pour l’accès au séjour stable et pérenne des personnes étrangères par la délivrance de plein droit de la carte de résident valable dix ans. Mais le vide qui reste retentissant est le manque total de mesure visant à mettre fin à l’enfermement des enfants mineurs dans les centres de rétention, surtout lorsque l’on note que de cette pratique, la France est souvent condamné ; six fois par le CEDH.

275 enfants ont été enfermés en 2017 et ils sont déjà quatre à être passés par le CRA du Mesnil-Amelot depuis le 1er janvier 2018. Nous constatons qu’aujourd’hui, en France, nous sommes confrontés à la réalité de l’immigration. C’est un fait, par conséquent les nouvelles dispositions devraient avoir une incidence directe sur la situation actuelle, donc penser à les améliorer pour permettre une meilleure prise en main des problématiques liées aux questions migratoire.

Le projet de loi asile et immigration pose des restrictions drastiques qui semblent être assumées par le gouvernement. Enfermer et expulser, sont les deux mesures phares qui se dégagent de l’actuel projet de loi. Quant à la réduction des délais de recours et l’accélération des procédures elles sont détachées de la réalité, à cela, l’on doit ajouter que certaines mesures sont contraires aux principes fondamentaux que la France prône dans et hors de ces frontières.

 

C’était mon sujet du jour, Yannis ISSOGUI, consultant juridique pour KayaMaga, le blog des générations X, Y et Z