DU CFA A L’ECO : Un long chemin vers l’indépendance monétaire de l’Afrique francophone

Par le 05/06/2020 0 1114 Views

Mercredi 20 mai, le gouvernement français a adopté en Conseil des ministres le projet de loi entérinant la fin du franc CFA. Une décision qui fait suite à l’accord de coopération signé le 21 décembre dernier à Abidjan par le président français Emmanuel Macron et les gouvernements des Etats de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Cette “mort” symbolique du Franc CFA ouvre la voie à l’adoption de l’Eco, la nouvelle monnaie commune aux pays de la CEDEAO.  

Créé par décret par Charles de Gaulle le 25 décembre 1945, le Franc des colonies françaises d’Afrique (CFA), renseigne le site journaldunet.fr, a été instauré dans les pays contrôlés par la France pour « faciliter le commerce et les échanges monétaires ». Depuis cette date, le franc CFA est en parité fixe avec l’Euro et les réserves de change sont centralisées auprès du Trésor français. Cette domiciliation de la monnaie des pays africains dans les comptes du colonisateur a toujours suscité des débats et a été vu comme une exploitation de l’Afrique par la France.

Le franc CFA, une monnaie forte à l’origine

Evolution du fr cfa

Dans un article publié sur RFI en décembre 2019 et intitulé « le franc CFA, toute une histoire », Sabine Cessou revient sur la genèse de cette monnaie. Elle est née par décret le 25 décembre 1945, en même temps que celle des Colonies françaises du Pacifique (CFP, Indochine), à la suite de la ratification le même jour, par le gouvernement provisoire de la France dirigé par le général de Gaulle, des accords de Bretton Woods. La « zone franc » créée de facto par la France avec ses colonies avait été officialisée en 1939 par le biais d’un autre décret instaurant le contrôle des changes en métropole et « Outre-Mer ». En raison de l’inflation moins forte dans les colonies que dans la métropole durant la Seconde Guerre mondiale, le franc CFA est plus fort que le franc français (FF) lors de sa création. Il valait 1,70 FF et repose sur quatre grands principes : parité fixe garantie par le Trésor public français, convertibilité et liberté des flux de capitaux dans la zone franc, en plus de la centralisation des réserves de devises des instituts d’émissions locaux, déposées auprès du Trésor public français. A la dévaluation du franc français le 17 octobre 1948 par rapport au dollar, la valeur du CFA se renforce encore, passant de manière mécanique à 2 FF.

Le symbole d’une domination coloniale

A l’occasion des Indépendances, la donne change lorsque le 1er janvier 1960  le nouveau franc français est mis en circulation par De Gaulle pour une valeur de 100 anciens francs. Le franc CFA perd alors sa valeur, passant de 2 à 0,02 FF. Une tendance inverse à celle d’avant les indépendances où le franc CFA était plus fort que le franc français. En réaction, en janvier 1972, le président du Niger Hamani Diori soutenu par le Congo-Brazzaville, le Cameroun et le Togo demande au président français Georges Pompidou une réforme de la « zone franc ». Cette fronde trouve un écho favorable auprès de la Mauritanie qui quitte la zone pour créer l’ouguiya et de Madagascar qui rétablit l’ariary en lieu et place du « franc malgache » en mai 1973. La révision du système CFA est accordée en décembre 1973, mais pas dans les termes attendus par les Africains. La France fait simplement passer de 100 % à 65 % le niveau des réserves de devises placées auprès du Trésor français, et « rapatrie » les sièges des banques centrales africaines de la zone franc alors localisés à Paris.

Mais en janvier 1994, une dévaluation de 50 % du CFA et de 33 % du franc comorien est imposée à 14 chefs d’État africain de la zone franc. La monnaie perd à nouveau sa valeur passant de 0,02 FF à 0,01 FF. Cette dévaluation entraîne la chute du pouvoir d’achat des populations de cette zone. Depuis ces années, le franc CFA est perçu comme le symbole de la domination de la France sur ces anciennes colonies. Le franc CFA est une monnaie à polémiques, avec ses détracteurs et ses défenseurs. De plus en plus nombreux, les premiers sont poussés par un certain nationalisme et « portés entre autres par des économistes africains tels que Kako Nubukpo et Mamadou Koulibaly, opposant ivoirien » qui estiment que « le CFA est trop fort par rapport à la faiblesse des économies où il circule, et qu’il pénalise les exportations ».

Eco, probable nouvelle monnaie de la zone franc

Le début d’un affranchissement monétaire

Ces revendications d’une indépendance monétaire ont commencé à trouver un écho auprès des chefs d’Etats africains de la CEDEAO qui, en 2000, ont lancé un processus d’intégration en deux phases. La première phase prévoyait pour 2015 le lancement d’une monnaie commune pour les pays de la ZMAO, la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest qui regroupe le Ghana, la Gambie, le Liberia, la Guinée, la Sierra Leone et le Nigeria. Dans la deuxième phase, il était prévu de fusionner la ZMAO avec l’UEMOA, « afin de créer, en 2020, une seule et même monnaie pour l’ensemble des pays de la CEDEAO » comme le signale Christian Eboué dans un article publié sur le site de TV5 Monde le 13 février 2020. Mais, cette intégration ne serait effective qu’à condition que les pays concernés respectent un ensemble de critères de convergence macro-économiques susceptibles de contribuer à homogénéiser les économies de la région. Condition non-atteinte puisque lors de la réunion des chefs d’Etat de la CEDEAO tenue à Abuja le 21 décembre 2019, seul le Togo réussit à respecter les critères de convergence qui sont de rester en dessous de 3 % du Produit intérieur brut de déficit, de 10 % d’inflation, avec une dette inférieure à 70 % du PIB. Tout en adoptant le symbole de l’eco, – « EC » – ainsi que le nom de la future banque centrale, la BCEAO, Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, l’organisation sous-régionale « exhorte les États membres à poursuivre les efforts visant le respect des critères de convergence », rappelle Jeune Afrique. Le même jour à Abidjan en Côte d’Ivoire, le président ivoirien Alassane Ouattara annonce, en présence de son homologue français, Emmanuel Macron, le remplacement du franc CFA pour les pays de l’UEMOA par un « eco » à parité fixe avec l’euro et garanti par la France. Un court-circuit qui n’a pas plu au conseil de convergence de la zone monétaire d’Afrique de l’Ouest qui a indiqué que cette annonce « n’est pas conforme avec la décision de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO d’adopter I’éco comme nom d’une monnaie unique indépendante de la CEDEAO ». La décision adoptée par le gouvernement français le 20 mai dernier en conseil des ministres sonne le glas du franc CFA, cette monnaie héritée de la colonisation. Mais, du chemin reste encore à faire pour parvenir à une monnaie indépendante.