CRISE AU MALI : LE ROSEAU IBK SOUS LA MENACE DE LA TEMPETE DICKO

Par le 17/07/2020 0 938 Views

Le 5 juin, le M5, mouvement du 5 juin réunissant une partie de la société civile, de l’opposition et de religieux a tenu sa première manifestation populaire. Menés par l’influent chef religieux Mamadou Dicko, sur fond de revendications politique et sociale, les manifestants réclament la démission du Président malien Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK. La troisième manifestation organisée vendredi 10 juillet a fait onze morts selon plusieurs médias et des dizaines de blessés. Des leaders de l’opposition entre-temps arrêtés sont relâchés et IBK multiplie les gestes d’apaisement.

Vendredi 10 juillet, le mouvement M5 a organisé sa troisième manifestation aux cris de « IBK dégage » ou « Nous voulons le changement » pour réclamer la démission du chef de l’État Ibrahim Boubacar Keïta. Très vite, les manifestants ont pris d’assaut plusieurs bâtiments officiels dont le siège de l’ORTM, l’Assemblée nationale, ainsi que deux ponts de Bamako. Les forces de l’ordre sont intervenues, notamment la FORSAT, la force spéciale anti-terroriste dont la présence dans le dispositif de maintien de l’ordre est vivement dénoncée. Des témoins, associations de défense des droits de l’Homme font état de tirs à balles réelles sur les manifestants. Le bilan officiel est de 11 décès et 124 blessés. Des leaders de ce mouvement de contestation ont été arrêtés puis relâchés. Ces manifestations inédites témoignent du fossé entre le régime IBK et la population malienne déçue de sa gouvernance. Cette crise qui menace le pouvoir malien a été déclenchée par les résultats des dernières élections législatives proclamés par la Cour constitutionnelles et qui donnent gagnant le parti au pouvoir. Alors que les résultats provisoires proclamés par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation donnaient 43 députés pour le parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Mali, la Cour lui accorde 51 sièges sur les 147 que compte l’Assemblée nationale.  Mais, les causes sont plus profondes. Comme le rappelle l’ancien président Olosegun Obasanjo dans une tribune publiée dans Jeune Afrique le 15 juillet, « les sources [du] mécontentement sont nombreuses : celui-ci est en effet directement lié aux accusations de corruption et d’incompétence qui visent régulièrement l’administration IBK, mais aussi à la lenteur des progrès réalisés dans la lutte contre l’insécurité dans le Nord et le Centre, à la pauvreté, au chômage, … ». Surfant sur cette vague de mécontentement, Mamadou Dicko reste aujourd’hui un acteur incontournable dans cette crise.

Mamadou Dicko (Photo by MICHELE CATTANI / AFP)

Mamadou Dicko, le visage de la colère qui fait trembler le régime IBK

Mahmoud Dicko n’est pas systématiquement dans l’opposition, précise France 24 sur son site, rappelant qu’en 2013, il compte parmi les soutiens à IBK lors de la présidentielle de cette année-là. Mais, en quelques mois, il est devenu la principale figure de la contestation au Mali. Imam rigoriste, Dicko a su jouer un rôle clef dans la crise sécuritaire au Mali, en parvenant à faire office d’intermédiaire auprès des djihadistes. Sa connaissance de l’islam et son rigorisme religieux lui confèrent un certain crédit auprès de ces derniers, tandis qu’il jouit d’une relative confiance de la part des élites maliennes.

À 66 ans, Mahmoud Dicko, issu d’une famille de notables de Tombouctou, est une figure familière des Maliens. De janvier 2008 à avril 2019, il préside le Haut conseil islamique (HCI). Il s’est notamment attiré la sympathie des maliens en s’opposant en 2009 à l’adoption d’un nouveau code de la famille censé notamment moderniser les usages matrimoniaux, familiaux et successoraux au Mali. Il réussit alors à contraindre le gouvernement à adopter un texte beaucoup moins ambitieux que prévu, notamment sur les droits des femmes. Ensuite, il a fait censurer un manuel scolaire d’éducation sexuelle qui abordait l’homosexualité. Dans un pays à majorité musulmane, ce sont-là des faits d’armes qui contribuent à hausser la côte de popularité de l’homme.

Après son départ du Haut conseil islamique, il crée son mouvement, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), en septembre 2019. Et depuis, il est devenu un critique vigoureux du pouvoir de IBK. Dans une interview sur RFI en juin, il déclarait que « Tout le monde est opposé ! Des problèmes communautaires, des problèmes dans l’armée, même entre les religieux… (des) problèmes entre tout le monde… Il y a un malaise dans le pays, il y a une mauvaise gouvernance. Il y a une corruption à ciel ouvert. Je le dis et je le redis ! » Le 29 février, lors d’un meeting enflammé au Palais de la culture de Bamako, il avait invité ses compatriotes à « prendre leur destin en main ». Cette déclaration lui a valu une convocation chez le procureur. Mais, la mobilisation de ses partisans qui ont encerclé le tribunal a conduit à un report sine die de son audition, et Tiébilé Dramé, le ministre des Affaires étrangères, a été dépêché à son domicile afin d’apaiser les tensions.

Le charismatique prêcheur a su fédérer la contestation contre IBK en canalisant l’exaspération nourrie depuis des mois par la mort de milliers de personnes tuées ces dernières années dans les attaques djihadistes et les violences intercommunautaires, le ressenti de l’impuissance de l’État, le marasme économique, la crise des services publics et de l’école et la perception d’une corruption répandue. Cette crise a atteint son paroxysme le week-end dernier avec les manifestations qui ont fait 11 morts et des dizaines de blessés, mettant le pouvoir de IBK dans une posture indélicate. Ce dernier, pour calmer les esprits, a annoncé la dissolution de fait de la Cour constitutionnelle dont les membres ont démissionné un à un. Face à cette crise qui s’intensifie, la CEDEAO a dépêché une délégation conduite par l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan.

Composée d’experts constitutionnalistes, cette délégation parlera des problèmes soulevés par l’arrêt de la Cour concernant les législatives. La délégation de la CEDEAO comporte également des groupes d’experts uniquement chargés des questions politiques. Les questions de gouvernance, les revendications politiques de l’opposition et plus globalement, la future architecture gouvernementale pour le Mali, sont à l’agenda de la délégation. Avec le sang des manifestants sur la main, le pouvoir malien se trouve aujourd’hui fragilisé. Face à la détermination du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) qui exige toujours sa démission, IBK joue sa survie dans cette médiation.

Murielle HOZANHEKPON

Riche d’une formation en Protection de l’Environnement, je suis spécialisée dans l’Aménagement et la Gestion des Ressources Naturelles que j'ai validé par l'obtention d'un master. Passionnée d’écriture et de tout ce qui est média numérique, je rentre très vite dans l'univers de la rédaction web. C’est donc tout naturellement que je me lance dans la rédaction des articles pour informer et sensibiliser un grand nombre de personnes. Et mes thématiques favorites tournent le plus souvent autour de l’écologie, de la nature et des énergies renouvelables, même si j’aborde également des sujets qui ont trait à la santé et aux faits de société. « La plus grande victoire de l’existence ne consiste pas à ne jamais tomber, mais à se relever après chaque chute » Nelson Mandela.