Sinatou Saka décline les enjeux de la présence des langues africaines sur Internet

By on 26/04/2019 0 1332 Views

Journaliste béninoise, Sinatou Saka est cheffe de projet éditorial à Idémi, un collectif né de l’envie de rendre les langues africaines plus visibles sur le web. A l’heure où les langues tentent de se frayer un chemin sur internet dominé aujourd’hui par les langues occidentales, notre invitée propose de passer à l’action afin d’inverser la tendance, à travers « des actions cohérentes et surtout concertées entre acteurs ». Entretien.

Plusieurs initiatives se mettent en place en vue de réfléchir et de travailler pour une plus grande présence des langues africaines sur le web. Quels sont, à votre avis, les enjeux liés à une telle présence ?

Plusieurs enjeux se déclinent aujourd’hui autour des langues africaines sur internet. Pour en citer quelques-unes, je dirai dans un premier temps la production du contenu dans des langues africaines. Il faut savoir qu’aujourd’hui,  80 % du contenu existant sur internet existe dans 10 langues occidentales. C’est une situation qui interroge la diversité intrinsèque à l’espace numérique. Le premier enjeu est donc d’accroître les contenus. Le deuxième à mon avis est la découvrabilité des contenus en langues africaines sur internet. Comment sont-elles référencées et comment les retrouver de façon intuitive. Enfin, si je devais citer un troisième enjeu, je pense au développement de technologies pouvant permettre à ces langues de se vulgariser simplement sur internet : des claviers plus adaptés, des logiciels capables de reconnaître d’autres grammaires.

Vous avez rappelé les chiffres et ils sont éloquents. Mais que retenir de l’état des lieux de la présence des langues africaines sur internet ?

Marcel Diki-Kidiri et Edema Atibakwa, dans « Les langues africaines sur la Toile », explorent plus de 3 000 sites pour ne retenir que ceux qui traitent des langues africaines. De leur analyse, on retient qu’il existe bien une abondante documentation sur les langues africaines sur la Toile, mais très peu de sites utilisent une langue africaine comme langue de communication. Bien que de nombreux facteurs puissent être pris en compte pour expliquer cet état des faits, deux facteurs dominants seraient l’inexistence de cyber-communautés linguistiques capables d’intensifier leurs échanges dans leurs langues via la Toile et l’absence d’un traitement informatique concluant des langues africaines. Les langues africaines apparaissent sur la Toile beaucoup plus comme des objets d’étude (mention, documentation, description, échantillons, textes, cours) que comme des véhicules de communication. La langue de communication utilisée pour parler des langues africaines est très largement l’anglais. Les produits logiciels ou les solutions informatiques intégrant en standard des polices de caractères pour toutes les langues africaines sont rarement proposés sur les sites.

Peu de personnes en majorité des africains s’intéresse aux langues africaines qui sont délaissées au profit des langues occidentales. Comment Internet pourrait changer la donne ?

Internet est un espace politique mais c’est avant tout un outil. Ce sont les hommes qui en font ce qu’ils veulent. La connectivité est une réalité pour une grande part de la population d’Afrique subsaharienne, mais l’accès à l’information et aux services demeure difficile, voire impossible, pour 40% de la population africaine illettrée selon UNESCO, et jusqu’à 70% pour certains pays du Sahel.

Ces personnes parlent des langues africaines et ne parlent pas les langues majoritairement utilisées dans les technologies de l’information comme l’anglais ou le français. Près d’un africain sur deux, soit 650 millions de personnes, locuteurs de langues africaines, sont exclus des technologies de l’information et de la communication.

Si ces 650 millions de personnes étaient connectés à internet dans leurs langues, je crois que beaucoup se sentiront moins « complexés » ensuite…Ce sont les locuteurs qui donnent du pouvoir à une langue, qui devient « universel »…bien sûr, les politiques doivent jouer leurs rôles également.

Sinatou Saka
Yoruba Journalist, ProjectManager @RFI

Vous pensez donc vraiment qu’Internet pourrait offrir une seconde vie aux langues africaines dont la plupart se meurt ?

Personnellement, je ne pense pas qu’une langue meurt. C’est un avis personnel qui refuse de simplement se baser sur des chiffres, des nombres pour décider de la mort d’une langue. Ceci-dit, si internet continue ainsi à se développer sans les langues africaines, il y a un vrai risque à ce qu’elles soient moins présentes dans l’espace public. C’est certain. Je crois donc qu’en les faisant exister, on ne leur donne pas une seconde vie, elles progressent et évoluent grâce à ceux qui là parlent sur internet. Car c’est bien ça le plus important, parler sa langue sur internet permet à cette langue de se greffer aux codes numériques et donc de valoriser et de montrer au monde entier ce qu’elle renferme de valeurs, traditions et cultures. Ce n’est plus la langue d’un pays mais de plusieurs régions.

Quelles langues doivent être mises en avant sur la dizaine de milliers dont regorge l’Afrique ?

L’Afrique, c’est 54 pays donc c’est assez grand pour choisir 10 langues et même pour parler d’un bloc. Mais, là encore, je ne pense pas qu’il faille choisir comme certains pays ont décidé d’imposer une langue à leurs ressortissants. A mon avis, ce schéma ne fonctionne pas vraiment sur le continent. Par exemple, je suis née à Porto-Novo, au Bénin et c’est assez naturellement que je parle trois langues nationales en plus du français. Je n’ai pas eu à choisir et heureusement d’ailleurs parce que je considère cette diversité comme une chance.

C’est le cas de beaucoup d’Africains, on parle plusieurs langues et on passe d’une langue à une autre sans problème. Alors, pourquoi faudrait-il écraser certaines pour en imposer d’autres et créer des frustrations, juste en se basant sur le nombre de locuteurs. Je crois personnellement que c’est assez dommage car toutes les langues, « minoritaires » ou « majoritaires » renferment des traditions importantes.

Dans la pratique, je sais que mon point de vue n’est pas facile à mettre en œuvre mais justement, pensons-y, on trouvera peut-être ensemble une solution respectueuse et inclusive.

Recherche en Yoruba sur Google, des rédactions dans des langues africaines, des applications mobiles qui suivent le pas. Comment analysez-vous ces initiatives et pensez-vous qu’elles sont sur le bon chemin ?

Les langues africaines suscitent un réel intérêt et c’est hyper positif. N’ayant pas faire des recherches poussées sur le sujet, je ne peux donc pas répondre très clairement à cette question de savoir si elles sont sur le bon chemin ou pas. Néanmoins, c’est positif et il faut appuyer ces initiatives.

Si je dois avoir un avis sur cette question, je répèterai ce que j’ai précisé plus haut : sortir des logiques de nombre et essayer de faire des actions cohérentes et surtout concertées entre acteurs.

Perpétue Houéfa AHOMAGNON

Diplômée en journalisme audiovisuel, j'ai découvert après mon cursus universitaire, l'univers des blogs, de la rédaction web. Depuis, je me suis presque auto-formée dans le domaine. Des formations par ci par là, des cours en ligne, tout ce qu'il faut pour me perfectionner et utiliser ces nouveaux médias pour atteindre mes objectifs. Je suis en fait une passionnée des nouveaux médias, des femmes, des jeunes, de la vie au niveau local. Je suis intéressée par les sujets sur l'Afrique, sur la situation des femmes et des enfants sur le continent mais aussi par le développement local. Et c'est ce que je traite à travers mes articles sur ce blog. " La confiance en soi est le premier secret du succès" Ralph Waldo