Rwanda : le génocide était « un projet politique basé sur une idéologie raciste »

Par le 10/04/2019 0 727 Views

Journaliste, Mehdi Ba s’intéresse au génocide rwandais depuis 1994. Spécialisé sur le rôle de la communauté internationale, notamment la France, dans ce génocide, il est considéré comme l’un des meilleurs experts sur le sujet. Rédacteur en chef du site www.jeuneafrique.com, il a accepté de revenir sur cette douloureuse histoire du Rwanda et donner son opinion sur la situation actuelle du pays, 25 ans après.

 

Avec le recul, parlant du génocide rwandais, est-ce un conflit ethnique ou politique ?

Mehdi Ba : Je démarrais dans le journalisme à l’époque et donc je n’ai pas couvert le génocide. J’ai commencé à m’y intéresser juste après, en juillet 1994, depuis la France, et notamment, je me suis intéressé à la controverse, qui continue d’ailleurs encore 25 ans après, sur le rôle de la France.

Pour répondre à votre question, le conflit ethnique, ce sont des gens qui ne maitrisaient pas le sujet et des médias occidentaux qui ne connaissaient pas trop le pays qui le disent. Le Rwanda est un pays dont on entendait parler très peu. Et il y a toujours un africanisme dans les médias occidentaux qui est de voir les conflits en Afrique comme des conflits entre tribus.

Pendant les premiers jours du génocide, les gens ne savaient pas comment l’analyser, vu qu’ils n’avaient pas de correspondants sur place, ni des envoyés spéciaux. Ils l’ont donc décrit comme des massacres inter-ethniques. Mais très vite après, ils ont rectifié leurs analyses et ont compris que c’était un projet politique qui était basé sur une idéologie raciste. C’était fondamentalement un Etat qui a décidé d’exterminer une partie de sa population afin de se maintenir au pouvoir. Il fallait éliminer les tutsis du Rwanda qui était assimilés à la rébellion de FPR (Front Patriotique Rwandais) à l’époque. Les extrémistes hutus au pouvoir ne voulaient pas partager le pouvoir. Donc, ils ont considéré qu’en éliminant tous les tutsis, ils allaient saper toutes les bases politiques du FPR. C’était un génocide, un projet politique mener par l’Etat contre une partie de sa population.

Vous n’êtes donc pas d’avis comme certains que la mort du Président rwandais d’alors était une œuvre des Tutsis ?

Non, je pense depuis 25 ans, et j’en suis quasiment certain, même si aujourd’hui personne ne peut le prouver, que ce fut une gigantesque opération d’intoxication qui a été menée à partir du début des années 2000 et qui dure encore. Je le pense, j’ai toujours pensé et tous les observateurs sérieux le savent très bien. Aujourd’hui, il y a des éléments scientifiques qui montrent que l’attentat a été commis depuis un camp militaire qui était tenu dans une zone tenue par les extrémistes hutus. Et donc que l’attentat a été commis par les extrémistes hutus contre leur président. Parce que leur président était entrain de mettre en œuvre des accords de partage de pouvoir et ça ne leur plaisait pas. Et d’autres parts, parce que c’était l’étincelle dont ils avaient besoin pour créer le chaos et donc un génocide. C’est mon avis et je suis constant à ce sujet. J’étudie le sujet de près depuis 25 ans pour dire que cet attentat a été commis par des hutus avec éventuellement des aides extérieures mais par contre, il n’y a pas d’éléments matériels aujourd’hui qui permettent de le prouver. Mais sur le plan de la logique, de la déduction, et de tous les éléments qu’on a sur cet attentat, il est clairement commis par les extrémistes hutus.

Des opposants au pouvoir Kagamé estiment que le Président parle beaucoup plus de meurtres envers les tutsis que des hutus. Quel est votre point de vue ?

Ça dépend des sources d’informations dont vous disposez. Parce que bien évidemment quand on lit des textes de gens qui ont intérêt à entretenir le mythe du double génocide, c’est ce qu’ils disent. Mais il y a eu un génocide qui a duré trois mois avec la mort de près d’un million de personnes et toutes les théories qui relèvent de celles du double génocide ont été propagées par des gens qui ont intérêt à le faire.

Moi, je ne me prononce même pas là-dessus. Il y a suffisamment d’opinions sur le génocide qui récapitulent et qui résument les choses et il y a aussi des ouvrages négationnistes. Mais il se trouve que moi je fais partie des gens qui considèrent qu’un génocide a visé les tutsis et mais aussi des hutus qui étaient opposés au projet génocidaire soit parce qu’ils étaient opposants politiques, soit parce qu’ils n’ont pas voulu marcher dans la machine à tuer. Donc la question n’a pas lieu d’être parce qu’elle est basée sur des opinions négationnistes.

Mehdi Ba
Rédacteur en chef site Jeune Afrique

25 ans après le génocide, que peut-on dire sur la réconciliation au Rwanda ?

Déjà, on ne parle plus de deux ethnies. Ça a été une des premières mesures qui a été appliquée. Le génocide a pu avoir lieu parce que sur la carte d’identité des rwandais, il y a avait marqué, s’ils étaient hutus, tutsis ou autres. Et c’est ce qui a permis de les reconnaitre et de les tuer. Donc, les cartes d’identité ethniques ont été supprimées. Ce qui devait être fait depuis mais qui n’avait pas pu être fait en 1994.

On a adopté aussi après le génocide des lois qui répriment le fait de chercher à diviser la population rwandaise en ethnie. La philosophie qui a été adoptée depuis 1994, c’est de considérer qu’il y a un peuple rwandais indivisible. Après, ça a contribué à permettre aux gens d’avoir une conscience nationale et non ethnique comme forgé par la colonisation et entretenu depuis l’époque coloniale.

Ensuite la réconciliation serait très dure à résumer. Parce que quand vous sortez de quelque chose comme le génocide de 1994 et que vous avez trouvé sur les collines des gens qui ont massacré des amis, des gens qui sont issus de familles qui ont été massacrés, je dirai qu’il y a eu des choses qui ont été faites pour eux pour permettre qu’au moins les deux générations qui ont vécu depuis 94 les évènements même en étant très jeunes, puissent élaborer un Rwanda qui sera débarrassé de tout ça. Donc globalement, justice a été rendue pour permettre d’une part qu’il y ait justice pour les femmes.

Vous savez les tueurs se comptent en centaines de milliers au Rwanda. Ce n’est pas une histoire de 4 personnes qui ont tué, c’est des centaines de milliers de personnes qui ont participé au massacre. Donc la réconciliation vu ce qui s’est produit pendra peut-être encore 25 ans de plus pour qu’on puisse passer à autre chose. Il faut éradiquer l’idéologie de génocide et permettre aux gens de cohabiter. C’est un processus qui a avancé mais qui reste encore un processus qui continue de se faire au jour le jour.

Vous avez parlé précédemment de conflit avec la France. Est-ce que les rapports entre les deux pays vont s’améliorer ?

Déjà le mot conflit n’est pas adapté. Le vrai problème, c’est la France qui entretient une hostilité marquée, qui entre 90 et 94, soutenait le régime de l’époque même pendant et après le génocide contre le FPR ; c’est la France qui considère que les experts étaient une sorte de mouvements sponsorisés par les anglo-saxons ; c’est la France qui depuis 1994 n’a cessé de faire en sorte que la relation soit détestable avec Kigali. Et en dernier point, c’est la France qui a toujours refusé de reconnaitre qu’elle avait été impliquée dans le génocide aux côtés du gouvernement génocidaire.

Mais depuis 1994, le Rwanda est passé à autre chose. Il n’attend rien de particulier de la France. Simplement, il a en mémoire ce qui s’est réellement passé. Et donc il rappelle à la France ses propres turpitudes. Et quand la France essaie justement de propager l’idéologie négationniste, lance des procédures judiciaires sur l’attentat, recueille des témoignages pour refaire l’histoire du génocide, le Rwanda rappelle la France à ses propres responsabilités.

Mais il y a des choses qui changent depuis quelques années. C’est quand un Président Français décide de faire un geste pour justement montrer qu’il est capable de reconnaitre ses erreurs. Ces gestes ont eu lieu sous Nicolas Sarkozy en 2009, 2012 où il y a eu une volonté de Sarkozy, poussé par son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner d’essayer d’apaiser la relation côté français, et immédiatement, les rwandais ont répondu favorablement à ces signes de volonté. Puis, c’est redevenu une situation compliquée sous Hollande.

Mais depuis que Macron est à l’Elysée, il y a là aussi, un chef de l’Etat français qui a manifesté des signes d’apaisement, de bonne volonté mais qui ne sont pas allés, contrairement à Sarkozy, jusqu’à esquisser le début d’un mea culpa pour le rôle de la France dans un Génocide. Donc on en est là. On ne sait pas exactement si Emmanuel Macron va consolider cette approche ou s’il va être rattrapé par les gens en France qui, s’ils ne sont peut-être pas nombreux, ont quand même une certaine influence. Et qui estiment que jamais la France ne s’inclinera devant la mémoire des victimes de génocide et jamais ne reconnaitra qu’elle ait pu commettre la moindre erreur au Rwanda. Ça pourrait durer encore 20 ans. Mais pour l’instant, on est dans une phase d’accalmie parce que côté français, il y a eu des signes de bonne volonté.

 

Perpétue Houéfa AHOMAGNON

Diplômée en journalisme audiovisuel, j'ai découvert après mon cursus universitaire, l'univers des blogs, de la rédaction web. Depuis, je me suis presque auto-formée dans le domaine. Des formations par ci par là, des cours en ligne, tout ce qu'il faut pour me perfectionner et utiliser ces nouveaux médias pour atteindre mes objectifs. Je suis en fait une passionnée des nouveaux médias, des femmes, des jeunes, de la vie au niveau local. Je suis intéressée par les sujets sur l'Afrique, sur la situation des femmes et des enfants sur le continent mais aussi par le développement local. Et c'est ce que je traite à travers mes articles sur ce blog. " La confiance en soi est le premier secret du succès" Ralph Waldo