Politique/Birmanie : Aung San Suu Kyi, la chute d’une icône

Par le 08/02/2021 0 2101 Views

Figure de l’opposition non violente à la dictature militaire de son pays, Aung San Suu Kyi fut nommée en 2016 ministre des Affaires étrangères, conseillère spéciale de l’État et porte-parole de la Présidence. Ce qui faisait d’elle de facto la cheffe du gouvernement birman. Devant la Cour Internationale de Justice de La Haye où a eu lieu une audience de deux jours du 9 au 11 décembre 2019, elle réfute les accusations de « génocide » contre les Rohingyas, depuis la répression de l’armée birmane en 2017. Cette position jugée ambigüe par les défenseurs des droits humains lui a valu le retrait de certaines distinctions internationales avant son renversement par l’armée le 1er février 2021.
En Birmanie, les militaires ont repris le pouvoir. Le monde s’est réveillé au petit matin de ce lundi 1er février avec un changement de régime à Rangoon. Les forces armées ont arrêté la cheffe « de facto » du gouvernement birman, Aung San Suu Kyi, et instauré l’état d’urgence pour une durée d’un an, promettant de nouvelles élections et un transfert de pouvoir au terme de cette période. La Tatmadaw, le nom des forces armées birmanes, vient ainsi de mettre fin au pouvoir démocratique que dirige l’ancienne militante des droits humains. Avec ce coup d’Etat, la Birmanie renoue avec son « destin tumultueux » comme le dit Joris Zylberman, journaliste à RFI. Assignée à nouveau à résidence, « La Dame de Rangoun » comme on l’appelle renoue elle avec la détention.
Un espoir déçu …
Durant les 15 ans passés en résidence surveillée, Aung San Suu Kyi a bénéficié de toutes les attentions de la communauté internationale. L’ONU, les pays européens, les Etats-Unis, les organisations internationales de défense des droits humains ont mis la pression sur le régime militaire pour sa libération. Lorsque finalement elle est libérée en 2010, ce fut un soulagement. La victoire de son parti, la Ligue Nationale pour la démocratie (LND), aux élections de législatives de 2015 et sa nomination comme chef de gouvernement de facto, au regard de son parcours a laissé penser qu’elle resterait une grande défenseuse des groupes minoritaire dans son pays. Erreur ! C’était sans compter avec la réalité du pouvoir.
Comme le rappelle RFI, « Près d’un million de personnes forcées à l’exil, des accusations de crimes de guerre, viols, tortures, exécutions sommaires… ». Ce tableau est le résultat d’une crise qui a éclaté en 2017. Cette année-là, les « rebelles » rohingyas, une minorité musulmane à laquelle Naypyidaw refuse la nationalité birmane, et dont les membres sont persécutés depuis des dizaines d’années par le gouvernement birman, vont s’en prendre à l’armée. En réponse, la junte militaire va leur infliger une répression sanglante. La Birmanie invitée à s’expliquer sur cette situation, c’est Aung San Suu Kyi, l’ancienne opposante historique à la junte birmane, qui fait le déplacement à La Haye pour défendre son pays. Pour les militants des droits humains, cette position est incompréhensible.

Aung San Suu Kyi, a été arrêtée et l’état d’urgence pour une durée d’un an est mis en place
Source : Europe 1

Dans un reportage de RFI, Chris Lewa qui travaille depuis 20 ans auprès des Rohingyas avec l’association Arakan Project n’en revient pas. « Elle n’a jamais utilisé son autorité morale pour essayer d’arrêter la situation et elle continue à nier », s’indigne-t-elle. Et de poursuivre « Elle a été plutôt silencieuse pendant la partie la plus grave du conflit, mais là, elle a même nié ouvertement les violences qui se sont passées. Pour les activistes, elle essaie de couvrir les militaires pour soi-disant défendre la Birmanie contre les pays, occidentaux ou autres, qui essaieraient de souiller sa réputation. ». L’affaire avait été portée devant la Cour internationale de justice par la Gambie, qui avait saisi l’institution au nom l’Organisation de la Coopération islamique.
… une icône déchue
Alors opposante, et au plus fort de son combat, Aung San Suu Kyi a reçu presque toutes les distinctions : le prix Sakharov en 1990, le Nobel de la paix en 1991, la médaille du Congrès américain, la Légion d’honneur française en 2012. Mais, suite à son attitude face à la situation des Rohingyas, presque tous ces prix lui ont été retirés. Le 12 novembre 2018, comme le rapporte BFMTV sur son site, Amnesty International a retiré le prix d' »ambassadrice de conscience » qu’elle lui avait attribué en 2009, estimant qu’elle avait « trahi les valeurs qu’elle défendait autrefois ». « En tant qu’ambassadrice de conscience d’Amnesty International, nous espérions que vous utiliseriez votre autorité morale pour dénoncer l’injustice partout où vous la verriez, même en Birmanie. Nous sommes consternés de constater que vous ne représentez plus un symbole d’espoir, de courage et de défense indéfectible des droits de l’homme. Nous vous retirons donc ce prix avec une profonde tristesse », écrivait Kumi Naidoo, alors secrétaire général de l’ONG. Le prix Sakharov, la médaille du Congrès américain et la Légion d’honneur française lui ont été également retirés.
Dans l’un de ses discours les plus connus, « Libérez-nous de la peur », elle-même déclarait : « Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur : la peur de perdre le pouvoir pour ceux qui l’exercent, et la peur des matraques pour ceux que le pouvoir opprime… ». Par peur de perdre le pouvoir, elle s’est accommodée avec les militaires et leurs pratiques contraires aux droits humains. Elle finit par le perdre le 1er février !