LES GRANDS HOMMES POLITIQUES NOIRS DU 20e SIECLE : vie de Patrice Lumumba

Par le 24/04/2020 0 1145 Views

Depuis novembre 2019, votre blog a démarré une série consacrée aux grands hommes politiques noirs ayant façonné l’histoire du monde. Idéologues, avec des convictions chevillées au corps, ils ont influencé le destin de leurs nations respectives et du monde en général. Après Thomas Sankara considéré comme le « Che Guevara africain » et Kwame Nkrumah qui est vu sur le continent comme l’un des panafricanistes les plus engagés, nous consacrons cette nouvelle série à Patrice Lumumba qui avait pour modèles les deux personnages suscités.

Dans le document intitulé « Le mouvement panafricaniste au vingtième siècle », une Contribution à la Conférence des intellectuels d’Afrique et de la Diaspora (CIAD I) organisée par l’Union africaine en partenariat avec le Sénégal dans la capitale de ce pays du 7-9 octobre 2004, il est fait mention de ce qui pourrait être le déclic à l’engagement de Patrice Lumumba dans le combat pour la libération de l’Afrique. On y apprend qu’en décembre 1958, Accra accueillit une nouvelle conférence panafricaine, celle des Peuples Africains (5-13 décembre), qui vit affluer les dirigeants des principaux partis et mouvements nationalistes. Forts des résolutions de ces assises, beaucoup, à l’instar de Patrice Lumumba, dont le Mouvement National Congolais avait été créé peu avant, revinrent d’Accra complètement transformés, confortés dans un anticolonialisme intransigeant. Mais, son parcours dès son jeune âge le prédestinait déjà à la fulgurante carrière politique qui a été la sienne à la tête du Congo.

Naissance et Formation

Patrice Lumumba est né le 2 juillet 1925 à Onalua, territoire de Katako-Kombe au SankuruCongo belge, dans l’actuelle République démocratique du Congo. Il fréquenta une école catholique des missionnaires avant d’intégrer une école protestante tenue par des Suédois. Car la Belgique coloniale n’avait développé qu’un système d’éducation entièrement confié aux missions religieuses. L’école ne donnait qu’une éducation rudimentaire et vise plus à former des ouvriers que des clercs. Mais Lumumba est autodidacte et se plonge dans des manuels d’histoire.

Il travaille ensuite comme employé de bureau dans une société minière de la province du Sud-Kivu jusqu’en 1945, puis comme journaliste à Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) et Stanleyville (Kisangani) employé de 2e classe à la poste, écrivant dans divers journaux. C’est dans cette société qu’il découvrit que les matières premières de son pays jouent un rôle capital dans l’économie mondiale, mais aussi que les sociétés multinationales ne font rien pour mêler des cadres congolais à la gestion de ces richesses. Dès lors se forge son idéologie anticolonialiste. En 1955, rapporte J-F Batsin dans « Lumumba », il crée une association « APIC » (Association du personnel indigène de la colonie) et aura l’occasion de s’entretenir avec le roi Baudouin en voyage au Congo, sur la situation sociale des Congolais. Il adhère ensuite au Parti libéral, parti créé par Augustin Buisseret, ministre belge en charge à l’époque de la politique coloniale. Un an plus tard, en 1956, il distribue une lettre-circulaire parmi les membres de l’association des évolués de Stanleyville dont il est le président. Dans cette lettre, il affirme que « Tous les Belges qui s’attachent à nos intérêts ont droit à notre reconnaissance… Nous n’avons pas le droit de saper le travail des continuateurs de l’œuvre géniale de Léopold II. »

C’est à cette époque que Patrice Lumumba écrit son livre intitulé « le Congo, terre d’avenir, est-il menacé ? » dans lequel il plaide pour une évolution pacifique du système colonial belge dont il reste partisan. Mais, l’évolution rapide des événements qui conduisirent à l’indépendance du Congo Belge ne lui permit pas de publier ce livre qui parut après sa mort à l’Office de Publicité, à Bruxelles en 1961.

Idéologie et engament politique

Lumumba est jugé en 1956 pour détournement des fonds des comptes de chèques postaux de Stanleyville et condamné à un an d’emprisonnement qu’il vécut comme une injustice. Car, pour lui, n’étant pas toujours payé, il considère qu’il n’a fait que prélever son dû. Libéré par anticipation, il reprend ses activités politiques et devient directeur des ventes d’une brasserie. A cette époque, le gouvernement belge prend quelques mesures de libéralisation autorisant alors syndicats et partis politiques en vue des élections municipales qui doivent avoir lieu en 1957. Les partis politiques congolais sont parrainés par ceux de Belgique et Lumumba, classé pro-belge en raison de ses discours et ses rapports avec les libéraux belges, est inclus dans l’amicale libérale. Mais, un événement l’éloignera de ce groupe en 1958.

Cette année-là, à l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles en Belgique, Patrice Lumumba est invité à l’instar d’autres Congolais. L’image paternaliste peu flatteuse du peuple congolais présentée par l’exposition ne lui a pas plu. Il se détache alors des libéraux et, avec quelques compagnons politiques, noue des contacts avec les cercles anticolonialistes de Bruxelles. Dès son retour au Congo, il crée le Mouvement national congolais (MNC), à Léopoldville le 5 octobre 1958.

Cette même année, il prend part à la Conférence des Peuples africains à Accra où il rencontre Kwame Nkrumah de même que Frantz Fanon et le camerounais Félix-Roland Moumié, tous unanimes sur les effets délétères du régionalisme, de l’ethnisme et du tribalisme qui selon eux minent l’unité nationale et facilitent la pénétration du néocolonialisme. Il se fit donc de nouveaux compagnons indépendantistes. À l’issue de cette conférence, il est nommé membre permanent du comité de coordination comme le rappelle Saïd Bouamama dans « Figures de la révolution africaine » paru en 2014 à La Découverte.

Rentré au Congo, il réunit plus de 10 000 personnes pour leur rendre compte de la conférence d’Accra et revendique devant les participants l’indépendance. Il évoque clairement l’objectif du MNC qui est la « liquidation du régime colonialiste et de l’exploitation de l’homme par l’homme. »

Une répression s’abat sur les mouvements nationalistes en 1959. L’interdiction en janvier d’un rassemblement de l’ABAKO (association indépendantiste) fait officiellement 42 morts selon les autorités coloniales, mais plusieurs centaines selon d’autres estimations. L’Association est dissoute et son dirigeant, Joseph Kasa-Vubu, déporté en Belgique. En octobre, lors du congrès national du parti MNC à Stanleyville, les gendarmes tirent à nouveau sur la foule faisant 30 morts et des centaines de blessés. Lumumba est arrêté quelques jours plus tard. Jugé en janvier 1960, il est condamné à 6 mois de prison le 21 janvier.

Croyant être débarrassées de Lumumba qu’elles considéraient comme le chef de la tendance radicale des indépendantistes, les autorités belges organisent à Bruxelles des réunions avec les d’autres indépendantistes plus conciliants. Mais les délégués congolais refusent unanimement de siéger sans Lumumba. Ce dernier est alors libéré en toute hâte le 26 janvier pour y participer. Comme le renseignent Bernard Lugan et Bernard Piniau respectivement dans « Le Congo belge, au cœur du continent noir » et « Congo-Zaïre — 1874-1981 — La perception du lointain », alors qu’il espérait profiter des tendances contradictoires d’un ensemble hétéroclite, le gouvernement belge se trouve confronté à un front uni des représentants congolais et, à la surprise de ceux-ci, accorde immédiatement et dans la plus totale improvisation au Congo l’indépendance, qui est fixée au 30 juin 1960. Une autre page s’ouvre alors pour ce pays et le leader indépendantiste Patrice Lumumba.