LES GRANDS HOMMES POLITIQUES NOIRS DU 20e SIECLE : PATRICE LUMUMBA (2e Partie)

Par le 08/05/2020 0 990 Views

Autodidacte, Patrice Lumumba qui s’intéresse très tôt à l’histoire de son pays découvrit que les matières premières de son pays jouent un rôle capital dans l’économie mondiale, mais aussi que les sociétés multinationales ne font rien pour mêler des cadres congolais à la gestion de ces richesses. Son engagement contre le colonialisme le place en première ligne d’un combat qui le conduira au poste de premier ministre de la jeune république démocratique du Congo, libérée contre toute attente de la tutelle belge le 30 juin 1960.

En mai 1960, pour les premières élections générales dans l’histoire du Congo sous domination belge, le Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Lumumba sort largement gagnant. Joseph Kasavubu, à la tête de l’association indépendantiste ABAKO, est nommé président de la République par souci d’unité nationale. Aussitôt, il avalise la nomination de Lumumba comme Premier ministre conformément à la nouvelle constitution qui prévoit ce poste pour candidat du parti ayant remporté le plus de voix, rappelle Saïd Bouamama dans « Figures de la révolution africaine ». Le premier gouvernement du Congo indépendant fut formé dans la foulée et la cérémonie d’accession à l’indépendance du pays prévue pour le 30 juin 1960. Le grand jour !

Ce jour qui célèbre l’affranchissement de la République démocratique du Congo de la tutelle belge, révèle à la face du monde un héros. Dans son article « Vie et mort de Lumumba: quand la France encensait le dirigeant nationaliste » publié le 30 juin 2017 sur le site de la Radio France internationale, Michel Arseneault décrit l’ambiance ce jour-là. « A Léopoldville, les cérémonies sont empreintes de solennité. En ce 30 juin 1960, Baudoin, roi des Belges, et Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo, prononcent des discours historiques. Deux hommes, deux mondes, s’affrontent. (…) Après le pape, dont on a lu un message, la parole est au roi. Au Palais de la Nation, ancienne résidence du gouverneur général, le jeune Baudoin vante le « génie du roi Léopold II », l’ex-propriétaire du Congo. Puis, c’est au tour de Patrice Lumumba, dirigeant charismatique qui incarne, au Congo et bien au-delà, l’anticolonialisme qui gagne l’Afrique et l’Asie. Le Premier ministre élu s’adresse aux Congolais – et non au roi –, charge la Belgique et dénonce « l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force ». Le corps diplomatique, réuni pour l’occasion, est sidéré. La puissance coloniale devait remettre le pouvoir en grande pompe aux nouveaux maîtres de Léopoldville. En lieu et place, c’est le choc de deux hommes, de deux mondes. »

Pour Ludo De Witte et Nicolas Manchia qui ont co-rédigé un article publié le 27 juin 2015, « peu de discours ont autant marqué notre histoire que celui du Premier Ministre congolais (…). Ce discours peut être considéré comme l’acte de naissance du Congo moderne, pays qui sort alors de quatre-vingt ans de colonialisme et envisage son futur avec confiance. En Afrique, ce discours est comme l’un de ces moments-clés qui ont propulsé le continent sur la scène internationale. »

Lumumba prit la parole après le chef du nouvel Etat, Joseph Kasavubu, qui prononça un discours ressenti comme une offense par les nationalistes congolais, à commencer par leur chef de file, son Premier ministre. Car, au lieu de célébrer l’émancipation de son peuple, le président de la République rendit un hommage appuyé à l’ancienne métropole, note Jean-Dominique Geslin dans un article publié dans Jeune Afrique le 30 juin 2017.

C’est donc tout naturellement que Lumumba prit le contre-pied du président dans une diatribe que l’ancien colonisateur ne lui pardonnera jamais. « Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des nègres. […] Cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, un Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier, cependant, que c’est par la lutte qu’elle a été conquise. »

Ce discours enflammé du Premier ministre, signe de sa divergence avec le président, fut le début d’une période de turbulence qui précipita sa chute et conduisit à la fin tragique de sa vie. Tour à tour, Lumumba se mit à dos la Belgique et une partie de ses compatriotes restés fidèles au colonisateur. Après les tumultes et les intrigues, il fut assassiné le 17 janvier 1961 à l’âge de 35 ans. En 1966, le général Mobutu Sese Seko le consacre héros national et le 17 janvier est un jour férié au Congo-Kinshasa.