Bénin: les 45 jours de la discorde

Par le 26/01/2021 0 1967 Views

A quelques jours de la fin du mandat du Président béninois Patrice Talon, un sujet anime les débats : quand finit le mandat de Talon ? Le 5 avril 2021 à minuit comme le soutiennent les Professeurs Théodore HOLO et Frédéric Joël AÏVO, ou le 23 mai 2021 comme le défend le Professeur Victor TOPANOU ? Le débat passionne et les arguments vont dans les deux sens qu’on soit de la mouvance ou de l’opposition.
Le mardi 12 janvier dernier, Théodore HOLO, ancien président de la Cour constitutionnelle du Bénin accordait une interview à la radio allemande Deutsche Welle. Réagissant à la question de savoir quand le mandat du président Talon prend fin, il déclarait que « désormais le mandat commence le 06 avril. Le président qui est élu sur la base de cette Constitution [NDLR : la loi N° 90-32 du 11 Décembre 1990 portant constitution de la République du Bénin] doit finir son mandat en principe le 05 avril à minuit. Maintenant, comme il y a une révision, même si elle est controversée, elle existe. Maintenant qu’il y a une révision en 2019, le président qui serait élu en 2021 va prêter serment sur cette Constitution révisée [NDLR : Loi N. 2019 – 40 du 07 novembre 2019 portant révision de la loi N° 90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin] et lui maintenant, il pourra finir son mandat au mois de Mai. Mais de mon point de vue, en tant que juriste, cette disposition ne peut pas avoir un effet rétroactif par rapport au mandat du président en exercice d’autant plus qu’il n’a pas prêté serment sur une Constitution qui prévoit que son mandat allait au-delà du 06 avril ». Cette sortie a fait réagir Victor TOPANOU, Maître de conférence et Professeur de science politique. Pour ce dernier, « si le principe de la non rétroactivité veut que la loi ne remette pas en cause les conditions ni les effets passés des situations juridiques en cours à la date de son entrée en vigueur, il n’en demeure pas moins que ce principe s’accommode de trois exceptions, à savoir les « lois civiles expressément rétroactives », les « lois pénales plus douces » et les « lois interprétatives ». Les débats actuels sur la fin du mandat du Président Patrice TALON rentrent (…) dans le cadre de la première exception, celle dite des « lois expressément rétroactives ». Il découle donc des effets cumulés de l’exception des « lois civiles expressément rétroactives » et des dispositions des alinéas 1 et 2 de l’article 157-3 (nouveau) que du 6 Avril au 23 Mai 2021, quatrième dimanche du mois de Mai (cf. article 153-3, dernier alinéa) le Président Patrice TALON ne sera, ni un Président illégal, ni un Président illégitime».

Des incertitudes planent sur la date des prochaines élections présidentielles

Prenant à son tour à contre-pieds Victor TOPANOU, Joël AÏVO, Professeur de droit constitutionnel s’interroge : «au nom de quoi, sur la base de quoi, un parlement agissant en tant que constituant dérivé, peut-il rallonger, donner un bonus supplémentaire que le peuple n’a pas donné ?». Selon lui, «si on accepte aujourd’hui qu’il est possible qu’un président de la République qui a été élu pour un mandat de cinq ans, que le parlement est en mesure de lui rajouter 45 jours, je vous assure que demain il sera possible pour n’importe quel chef d’Etat d’être élu pour cinq ans, de trouver un parlement qui lui permettrait pour une raison pour une autre de rester pour cinq ans et plus ».
Rappelons que la loi N°2019-40 du 7 novembre 2019 dispose en son article 157-3 (nouveau) que les « dispositions nouvelles concernant l’élection et le mandat du Président de la République entrent en vigueur à l’occasion de l’élection du Président de la République en 2021 » et que le « mandat du Président de la République en exercice s’achève à la date de prestation du serment du Président de la République élu en 2021 à 00h ». Saisie par un citoyen béninois pour se prononcer sur la question de la prolongation du mandat du président Talon, la Cour Constitutionnelle béninoise s’est déclarée incompétente le 7 janvier dernier. Le sujet est loin d’être vidé et ce débat qui enflamme les conversations se poursuivra au fur et à mesure que le 6 avril approche.