Scarification en Afrique : une pratique ancestrale de plus en plus controversée
Il y a plusieurs années en Afrique, des peuples, pour identifier un des leurs, lui mutilent le visage ou certaines parties de son corps. C’était un symbole de personnalité ou d’appartenance à une tribu. Ainsi, il était plus facile de reconnaître les gens d’une certaine famille à partir des scarifications dans son visage ou des gens d’une certaine région à partir de ces marques sur sa peau. Mais de nos jours, la pratique est très controversée et considérée même comme barbare par certaines personnes.
Le débat a été vif sur les réseaux sociaux en ce début de mois de novembre. L’image qui a choqué est celle d’un petit garçon qui venait de subir une cérémonie de scarification. Il était tout en pleurs, le visage ensanglanté. Sous le choc, les réactions ont été violentes. Pour nombres, c’est faire du mal à un enfant sous des raisons archaïques. « Il faut faire les scarifications certes mais pas à un enfant. Il faut le laisser grandir et choisir de le faire ou pas. Sinon, le faire à un enfant, c’est lui imposer un choix, une marque toute sa vie. Et ça peut lui porter des préjudices dans le futur » dit un internaute.
Symbole d’une tradition
Dans le tome 16 du Journal de la société des Africanistes, paru en 1946, le Dr. Pales L. définit les mutilations tégumentaires comme étant « des altérations volontaires définitives qui ne visent pas à la destruction et qui sont pratiquées sur les tissus de couverture de l’organisme : La peau, La muqueuse de certains organes (gencives), Les plans de certaines parties du corps qui sont cutanées au recto et muqueuses au verso (narines et lèvres), Les plans cutanés avec un tissu d’interposition, cartilagineux (conque) ou cellulo-adipeux (lobule), au niveau de l’oreille ».
Dans son développement, il définit les scarifications comme étant « des plaies superficielles volontaires, créées l’incision ou par la cautérisation des téguments, dans le but d’obtenir des cicatrices. Il existe de ce fait, quatre catégories de scarification. Les scarifications familiales, au sens étroit du terme, les scarifications tribales, les scarifications décoratives, les scarifications rituelles, commémoratives et quelques autres encore ».
Dans son projet de série photos sur les scarifications, la photographe Joana Choumali est allée à la rencontre de plusieurs personnes portant sur leurs visages ces marques. Elle a présenté une série de photographies intitulée « Hââbré, The Last Generation », pour que cette tradition ne soit pas oubliée. Dans leurs confidences à la photographe, l’un d’eux, un Burkinabé lui explique : « en période de guerre, les tribus Mossis et Ko se reconnaissaient, et ainsi évitaient de s’entre-tuer. Pas besoin de carte d’identité, je porte déjà mon identité sur mon visage ».
Comme pour confirmer, le site Monwaih, dans un article sur les scarifications rapporte ceci : « dans leur livre « Awon asa ati Orisha ile Yoruba », les nigérians Olu Daramola et Adebayo Jeje affirment que les ancêtres se sont adonnés aux scarifications afin de permettre à leurs descendants qui pourront malheureusement être pris en esclavage, de se reconnaître entre eux et de se souvenir de leurs origines lorsqu’ils se retrouveront loin de leurs terres. De récentes explications ont révélé du côté du Bénin que certaines familles scarifiaient leurs descendances dans le but ultime de leur éviter l’esclavage puisque les esclavagistes préféraient les corps non mutilés ». Impact Magazine dira aussi que selon la tradition Moose, les scarifications seraient apparues au Nord du Ghana actuel. « Au XVIIIe siècle, au Bénin, les marques sur le visage permettaient d’identifier les membres de son clan, au cours de guerres et de conflits. Ces marques furent également une manière de contourner l’esclavage, à partir du XVIe siècle. Les négriers se détournaient des personnes portant des marques sur le visage et sur le corps ».
Les bons côtés d’une riche tradition
Comme toute pratique, la scarification a des vertus. Alors qu’il existe plusieurs types de scarification, on apprend que la scarification médicale a pour but de traiter des maladies de peau ou pour traiter des zones se trouvant à proximité intérieure de l’épiderme. La scarification est aussi utilisée dans certains cas de vaccination ou pour traiter des cas virulents de rosacée. Le Journal International rapporte les propos du docteur Bouba Amman, historien à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun). Interviewé sur le phénomène, l’historien explique « ces modifications sont faites à des fins esthétiques, parce qu’elles sont l’expression de la beauté. Une façon de transformer la nature en culture. C’est une richesse de ces peuples : « l’homme n’est pas que nature, il est aussi culture dans la mesure où il se sent la capacité de faire de son corps et de son environnement ce qu’il veut. »
Il va plus loin pour témoigner que « les modifications corporelles ont aussi une fonction thérapeutique. Les incisions faites au niveau des articulations ont pour fonction de lutter contre les rhumatismes, les mauvais esprits et les sorciers. Pour prévenir les conjonctivites, les scarifications sont faites sous les yeux des enfants, surtout pendant la période de propagation de cette maladie ». Pour d’autres, le caractère définitif des tatouages et des scarifications conditionne leur usage qui se distingue radicalement de celui de la peinture corporelle. Les scarifications ont un rôle dans la détermination de la classe de celui qui les arbore. Mais ces bons côtés sont balayés du revers de la main par la modernité.
Une pratique qui s’éteint
Mais osons l’avouer, cette pratique fait face au dictât de la modernisation. Elle disparaît presque. Dans certaines régions du Bénin, les parents refusent de plus en plus de faire subir à leurs enfants cette mutilation. Un père originaire du centre du Bénin nous explique que pour ses enfants, il a refusé. « J’ai comme on le dit chez nous, acheté pour mes enfants. J’ai fait une petite cérémonie pour leur épargner ça. Je ne veux pas qu’ils subissent des moqueries de la part de leurs camarades quand ils seront en société ».
Mme K. Djeneba, gérante d’une boutique au Burkina Faso, vit ses cicatrices comme un poids aujourd’hui. « Les gens trouvent ça beau, moi je trouve ça laid. Nous ne sommes pas comme les autres. Auparavant j’aimais mes cicatrices et je m’en vantais. Mais aujourd’hui, en ville, c’est passé de mode » dit-elle. Dans leurs confidences à Joana Choumali, certains porteurs de scarifications confient « aujourd’hui, si je pouvais les effacer, je le ferais ».
La tradition en Afrique a de beaux jours devant elle, mais est-ce le cas des scarifications ? On ne peut oser répondre par l’affirmative.