LES GRANDS HOMMES POLITIQUES NOIRS DU 20e SIECLE: THOMAS SANKARA 1ère Partie

Par le 28/11/2019 0 2341 Views

Notre monde tel qu’il apparaît aujourd’hui, a été façonné par des actions d’hommes et de femmes ayant marqué leur époque par leur personnalité. Idéologues, avec des convictions chevillées au corps, ils ont influencé le cours de l’histoire de leurs nations respectives et du monde en général. Aujourd’hui encore, leurs parcours sont cités en exemple à l’occasion de certains débats tant au niveau national qu’international. Kaya Maga revisite l’histoire de ces hommes et femmes d’origine africaine qui ont marqué leur époque et l’époque actuelle au-delà des frontières nationales afin de les garder présents dans la conscience jeune.

Cette série sur les grands hommes politiques noirs du 20e siècle se propose de revenir sur leurs idéologies et leurs parcours politiques.  

  •  Naissance et formation

Selon sa biographie publiée sur le site officiel du gouvernement burkinabé consulté le 16 août 1983, Thomas Isidore Noël Sankara est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta (actuel Burkina-Faso). Fils d’un père Peul et d’une mère Mossi, ayant grandi entre valeurs militaires et religieuses chrétiennes. Il fit ses études secondaires d’abord au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, puis de la seconde au baccalauréat, à Ouagadougou, au Prytanée militaire de Kadiogo. Durant ses études, il côtoie des fils de colons et découvre l’injustice. Tout comme Blaise Compaoré, il suit une formation d’officier à l’École militaire inter-armes (EMIA) de Yaoundé au Cameroun, avant d’intégrer l’Académie militaire d’Antsirabe, à Madagascar où il étudie les sciences politiques, l’économie politique, le français et les sciences agricoles. En 1976, il devient commandant du Centre national d’entraînement commando, (CNEC) situé à Pô, dans la province du Nahouri, à 150 km au sud de la capitale. La même année, ils prennent part à un stage d’aguerrissement au Maroc.

Thomas Sankara et sa famille

Comme le rapporte Saïd Bouamama dans “Figures de la révolution africaine, de Kenyatta à Sankara”, c’est durant ses études à Madagascar qu’il se forge déjà l’idée d’une « révolution démocratique et populaire » lorsqu’il assiste en 1972 à la révolution qui conduit à la fin du régime néocolonialiste de Philibert Tsiranana. Sous-lieutenant affecté en 1973 à la formation des jeunes recrues, il se fait remarquer par sa conception de la formation militaire dans laquelle il inclut un enseignement sur les droits et les devoirs du citoyen, insistant sur la formation politique des soldats : « sans formation politique patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance », avait-t-il coutume de dire. Il acquiert une renommée nationale en s’illustrant militairement lors de la guerre avec le Mali en 1974. Il accéda ensuite au grade de Capitaine et crée le Regroupement des officiers communistes (ROC), une organisation clandestine. C’était déjà les prémices d’une carrière politique !

  • Idéologie et engament politique

Décrit à la fois comme un anti-impérialiste, révolutionnaire, socialiste, panafricaniste et tiers-mondiste, Thomas Sankara est un des chefs du Mouvement des non-alignés. Il côtoie beaucoup de militants d’extrême gauche dans les années 1970 et se lie d’amitié avec certains d’entre eux.

Dans son article datant d’octobre 1987 intitulé « Le rêve assassiné de Thomas Sankara », Bruno Jaffré nous apprend qu’à la fin des années 1970 et au début des années 1980, le Burkina Faso connaît une alternance de périodes autoritaires et de démocratie parlementaire. Les personnalités politiques sont coupées de la petite bourgeoisie urbaine politisée, et cette scission est renforcée par des scandales financiers. Cela amène de jeunes officiers ambitieux et désireux de moderniser le pays comme Thomas Sankara à s’investir en politique, se posant en contraste avec des hommes politiques plus âgés et moins éduqués. Un coup d’État militaire auquel il n’a pas pris part a lieu en novembre 1980. Populaire, il est nommé en septembre 1981 secrétaire d’État à l’Information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo avant de démissionner en réaction à la suppression du droit de grève, déclarant le 21 avril 1982, en direct à la télévision : « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ». Il est alors dégradé et chassé de la capitale.

Le capitaine Thomas Sankara président du Burkina- faso ancien haute volta pose avec Francois Mitterrant

Deux ans après, nouveau coup d’Etat. Le 7 novembre 1982, le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo est porté au pouvoir et Sankara devient Premier ministre en janvier 1983, grâce au rapport de forces favorable au camp progressiste au sein de l’armée. A ce poste, poursuit Saïd Bouamama, il se prononce ouvertement pour la rupture du rapport « néocolonial » qui lie la Haute-Volta à la France : « Lorsque le peuple se met debout, l’impérialisme tremble. L’impérialisme qui nous regarde est inquiet. Il tremble. L’impérialisme se demande comment il pourra rompre le lien qui existe entre le CSP [le gouvernement] et le peuple. L’impérialisme tremble. Il tremble parce qu’ici à Ouagadougou, nous allons l’enterrer ». En avril 1983, il invite le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Ce qui semble être une nouvelle « erreur diplomatique » aux yeux de la France. Le 17 mai, il est limogé et mis en résidence surveillée, probablement sous la pression de la France.

Aussitôt, des manifestations populaires soutenues par les partis de gauche et les syndicats contraignent le pouvoir à le libérer. Le 4 août 1983, la garnison insurgée de Pô arrive à Ouagadougou accompagnée d’une foule en liesse et place Thomas Sankara à la présidence du Conseil national révolutionnaire. Il constitue un gouvernement avec le Parti africain de l’indépendance et l’Union des luttes communistes – reconstruite (ULC-R).

Durant les quatre années de cette révolution qu’il finit par incarner, il mène à marche forcée une politique d’émancipation nationale, de développement du pays, de lutte contre la corruption ou encore de libération des femmes.

Dès sa prise de pouvoir, rappelle Bruno Jaffré, il affirme ce qui sera sa ligne de conduite à la tête du pays : « Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir. Briser et reconstruire l’administration à travers une autre image du fonctionnaire, plonger notre armée dans le peuple par le travail productif et lui rappeler incessamment que, sans formation patriotique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance ». Sa politique d’émancipation s’est traduite par le changement du nom de Haute-Volta issu de la colonisation en un nom issu de la tradition africaine : Burkina Faso, qui est un mélange de moré et de dioula et signifie Pays des hommes intègres.

Concernant la démocratie, il développe une pensée originale : « Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre, et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. […] On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel ».

Une nouvelle nation venait ainsi de naître. Sankara ouvrit une nouvelle ère au Burkina Faso.

En attendant la suite du parcours de ce visionnaire des temps modernes, vous pouvez parcourir ses discours sur ce lien http://www.thomassankara.net/category/francais/documents/discours/

Castro décore Thomas Sankara de la médaille de l’ordre de José Marti en septembre 1984