République Démocratique du Congo Coalition Cap pour le Changement (CACH)-Front Commun pour le Congo (FCC) : La fin du mariage ?
Après son élection surprise à la tête de la RDC en décembre 2018, Félix Tshisekedi a formé une coalition gouvernementale inimaginable avant les élections avec le FCC de l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila. Si les résultats des élections législatives et provinciales qui ont donné gagnant le camp de ses alliés imposaient de fait ce mariage, un an après, cette union bat de l’aile et des questions se posent sur son avenir.
« Une atmosphère inédite : les combattants de l’Union Démocratique pour le Progrès Social (UDPS), le parti présidentiel [parti du Président élu Félix Tshisekedi], tombent dans les bras de policiers qui les ont si souvent réprimés. Félix Tshisekedi et son prédécesseur Joseph Kabila, tout sourire, se donnent l’accolade. C’est une transition civilisée, s’enthousiasment les médias d’État. ». En ce jour anniversaire, c’est ainsi que la Radio France Internationale (RFI) décrit l’ambiance du 24 janvier 2019, jour de l’investiture du nouveau président de la RDC. Mais, c’était il y a un an !
Justement, RFI renchérit « il y a un an jour pour jour, Félix Tshisekedi, fils de l’opposant historique en République démocratique du Congo, était investi président à l’issue d’élections très controversées. Une première transition pacifique un peu particulière, parce que le nouveau chef de l’État n’a quasi aucun contrôle sur les assemblées nationales comme provinciales, dominées par son prédécesseur Joseph Kabila. »
De fait, pour gouverner sans écueil, le nouveau président n’avait d’autre choix que de s’allier avec son prédécesseur. On pouvait croire que l’intérêt supérieur de la nation prendrait le pas sur les considérations partisanes, même si à l’annonce de cette alliance, les plus sceptiques avaient prédit une relation tumultueuse. Un an après, le nombre et la fréquence des actes de frictions dans ce compagnonnage obligé renforce les doutes sur la sincérité de ce mariage contre nature.
Les signes annonciateurs
Comme le dit un adage populaire, « le ver est dans le fruit ». Le pouvoir Tshisekedi est un improbable attelage. Son défunt père Etienne Tshisekedi, fondateur de l’UDPS, a combattu le pouvoir de Joseph Kabila toute sa vie. Le fils, Félix Tshisekedi, après son élection inattendue, forme un gouvernement dominé par les pro-Kabila. Composé de 66 membres, 42 sont issus des rangs du Front Commun pour le Congo avec des postes clés comme ceux du premier ministre, du vice-premier ministre et ministre de la justice, du ministre de la défense et celui des finances. Gouvernement formé après plus de huit mois de négociations. Et les premières difficultés n’ont pas tardé. Fin décembre 2019, la tension était palpable entre les partisans du nouveau président congolais et ceux de son prédécesseur. « À l’origine, les propos tenus par les partisans de Joseph Kabila réunis en séminaire à Lubumbashi » signale RFI dans un article paru le 29 octobre 2019. Au terme de cette réunion d’évaluation du Parti du peuple pour la reconstruction (PPRD), parti de l’ancien président, Néhémie Mwilanya, le coordonnateur du FCC déclarait : « ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, aucun obstacle constitutionnel ou inconstitutionnel voire politique, n’empêcherait le retour de [Joseph Kabila] et surtout ne pourrait empêcher qu’il soit candidat ». Après ce pied de nez au nouveau président, ce sont les affiches à son effigie qui ont été brûlées en représailles au sabotage de celles de son prédécesseur. Une situation que le quotidien congolais Le Potentiel avait qualifiée en son temps de « signe avant-coureurs d’une insurrection qui ne dit pas son nom. ». Dans la même période, des combattants de l’UDPS accusaient Joseph Kabila du crash d’un Antonov affrété par la présidence et qui transportait le chauffeur et plusieurs escortes de Tshisekedi. Ambiance !
Mais, ce n’était pas tout. Jusqu’à fin octobre 2019, plus de trois mois après la formation du gouvernement, les nominations traînaient encore dans les entreprises publiques, la magistrature, la diplomatie et d’autres secteurs de la vie nationale. Un goulot d’étranglement dans l’exécution harmonieuse du programme d’actions du nouveau président.
La désescalade ….
Félix Tshishekedi est élu sur le rejet massif du pouvoir de son prédécesseur. C’est dire les fortes attentes de la population congolaise. Le nouveau président n’a donc rien à gagner à attiser la tension. Le camp Kabila non plus. Un mois après ces tensions palpables, le geste d’apaisement est venu du camp de ce dernier. Comme le rapporte RFI fin novembre 2019, réunis pendant trois jours à Kisantu, les chefs des regroupements et partis membres du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila ont renouvelé leur soutien à la coalition de gouvernement formée avec la Coalition pour le changement (Cach) du président Félix Tshisekedi. Mais, cette trêve n’aura pas duré trop longtemps. Le premier acte qui ravivera les tensions viendra du camp Tshisekedi.
… avant l’escalade
Le nouveau sujet de discorde, le limogeage en décembre de la même année de deux ambassadeurs proches de Joseph Kabila qui étaient accrédités à l’ONU, et le rappel définitif du représentant accrédité au Japon. Les réactions à cette décision ne se sont pas faites attendre au sein du FCC. La décision de la cheffe de la diplomatie congolaise est ouvertement contestée, selon RFI. Pour Yves Kisombe, l’ancien vice-ministre des Affaires étrangères, « ce qui est certain, c’est que la ministre a outrepassé ses attributions, elle n’a pas compétence pour agir dans ce sens-là. » Estimant que ces limogeages « ne renforcent pas » la confiance entre les deux coalitions au pouvoir, il poursuit que « cet acte qui n’est pas régulier peut effectivement susciter des interrogations sur le plan politique par rapport à la coalition gouvernementale, et à la volonté du président de la République de faire avancer les choses de manière harmonieuse. » Et il n’a pas tort.
Alors qu’il a qualifié l’année 2020 d’année de l’action, c’est de Félix Tshisekedi lui-même qu’est venue l’étincelle pour enflammer la poudrière. Ce mois de janvier, comme à son habitude chaque fois qu’il est en voyage à l’étranger, il a profité de son séjour à Londres au Royaume-Uni pour accuser ouvertement ses partenaires du FCC. Dans des propos acerbes rapportés par la Radio France Internationale, il déclare que « (…) Dans notre coalition, tout le monde n’est pas attaché à la victoire du peuple. (…) Ma mission est de servir mon peuple. Celui qui s’y opposera, surtout s’il s’agit d’un ministre nommé par moi, sera sanctionné. Tous les jours, quand je préside le Conseil des ministres, je rappelle aux ennemis du FCC [Front commun pour le Congo] que je sais qu’ils ont signé des documents. Jusqu’à présent, je n’ai vu aucun ministre s’opposer à mes décisions. (…) celui qui ne veut pas suivre mes instructions et qui s’attachera aux instructions de sa famille politique, il sera viré ». Se montrant plus dur, il menace de dissoudre l’Assemblée nationale. « (…) si je me rends compte que la mission pour laquelle je suis à la tête du pays d’être au service de mon peuple et que l’on commence à faire obstruction à cette mission, je serai contraint en fin de compte de prendre la décision de dissoudre l’Assemblée nationale. », conclut-il. Mais, la réplique n’a pas tardé et elle est venue de Jeannine Mabunda, présidente de l’Assemblée nationale. Profitant d’un échange avec la presse au cours d’une cérémonie traditionnelle de vœux, elle réplique au président de la République, le menaçant à son tour à mots couverts de destitution. « Il ne faut pas jeter les articles de la Constitution en pâture à des incompréhensions ou des malentendus. L’article 148 parle bien de dissolution de l’Assemblée nationale, mais dans des cas précis. (…) selon les prescrits de cet article, par ailleurs, le président de la République est invité dans le cas de cette crise à consulter le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, et le président du Sénat avant toute décision. Faute de quoi, on serait dans une violation de texte. Et cette violation est régie par l’article 165 de la Constitution, qui dit que toute personne qui méconnaît notre loi fondamentale peut être exposée au cas de haute trahison pour violation intentionnelle de la Constitution. Je ne cite que des articles. Je ne prends pas position ». Pour Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du Président de la République, «La présidente de l’Assemblée a franchi la ligne rouge».
Comment une relation aussi troublée entre deux camps que tout oppose peut finir par s’apaiser ? Comment deux camps qui se sont combattus durant des années peuvent se résoudre à parler de la même voix ? Les signes d’un lendemain meilleur dans cette coalition gouvernementale sont à rechercher avec une loupe. Les faits et gestes des partisans des deux camps diront si le mariage durera.