Essor des taxi-motos en Afrique de l’Ouest : un secteur informel bien organisé
Le phénomène a fait son apparition au Bénin notamment à Porto-Novo dans les années 1980. Résultat de l’exode rural. Des jeunes à la recherche du mieux-vivre quittent leurs villages pour s’installer dans les villes. Pour s’en sortir, ils ont pensé au transport des personnes et des marchandises dans tous les recoins de la ville où le taxi ne peut y aller. Très vite, ce phénomène où les conducteurs sont appelés zémidjan « amènes moi vite » en langue fon du Bénin, a gagné les autres villes de l’Afrique de l’Ouest. Lomé, Conakry, Lagos, Kigali, Cotonou, Yaoundé etc. on retrouve les taxi-motos partout. Au fil des ans, le secteur est devenu très organisé et s’est imposé dans le quotidien des populations.
400 fr cfa, c’est le prix de la course de cette cliente qui vient de descendre au grand marché Assiganmè de Lomé. Avec Etienne, le zémidjan qui l’a transporté du quartier Tokoin pour cette destination, le prix a été discuté pendant de longues minutes. « Avec nous, les clients sont plus difficiles. Ils négocient le prix de la course au plus bas alors que ce n’est pas le cas avec les taxis. Donc nous aussi, au prime abord, nous élevons le plus possible les prix pour qu’à la fin, chacun ait pour son compte » nous explique Etienne pressé de repartir à la recherche d’autres clients. Aussitôt la fin de cette intervention, Etienne se rapproche d’un passant à qui il demande « Oléyia » ce qui signifie « tu pars » ou « on y va » en Mina, langue du Togo. Ce bout de phrase sera répété par lui et d’autres conducteurs de taxi-moto à longueur de journée dès qu’ils repéreront un potentiel client.
De l’autre côté, dans une maison commune à Abomey-Calavi au Bénin, Pierre, déjà tout prêt pour son tour de l’après-midi nettoie méticuleusement sa moto « Bajaj ». Il nous explique que de plus en plus les clients surtout les femmes préfèrent ce type de moto à cause du confort. « Et quand le conducteur et la moto sont propres, c’est encore un plus » nous rajoute-t-il avec un sourire au coin des lèvres. Mais cette moto n’appartient pas encore à Pierre. Tout comme trois de ces collègues qui vivent dans cette maison, il a reçu cette moto il y a quatre mois chez « un propriétaire ». Ce dernier est fonctionnaire dans une société privée. Il achète la moto qu’il met à la disposition d’un conducteur de taxi-moto. Ce dernier doit payer 40 000 f cfa par mois pendant un an avant de devenir propriétaire de la moto qu’il pourra utiliser à sa guise. « C’est ainsi que les affaires se font ici. C’est un partenariat gagnant-gagnant. Le plus difficile est la somme à verser par mois mais on s’en sort comme on peut » nous explique Pierre qui a eu une licence en science juridique à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. Il nous raconte que c’est à cause du chômage qu’il s’est retrouvé dans ce secteur. « Quand j’ai eu la licence, je n’avais pas eu du travail. Je suis repartie au village mais je ne m’en sortais pas donc un de mes oncles qui faisait du taxi moto m’en a parlé. J’ai accepté et il m’a présenté à ce propriétaire et voilà comment j’ai démarré dans le secteur » nous témoigne Pierre. Tout comme lui, on retrouve dans ce secteur informel qu’exercent « plus de 300 000 béninois, 350 000 camerounais, 213 000 togolais » selon Jeune Afrique, des diplômés sans emplois, des fonctionnaires qui veulent joindre les deux bouts, des jeunes venus chercher l’eldorado etc.
Un secteur informel organisé
Avant d’enfourcher sa moto pour sa virée de l’après-midi, Pierre s’habille tout proprement. Un pantalon jean propre, des tennis blancs usés certes mais tout propres, une chemise blanche et pour finir, sa chemise jaune de zemidjan. Une chemise derrière laquelle on peut lire « toutes les filles à l’école ». Un slogan de campagne de l’Organisation Internationale UNICEF Bénin. « Nous sommes plusieurs conducteurs de zemidjan à avoir notre chemise avec ce slogan. Comme nous sommes regroupés au sein de différentes associations, les entreprises, les partis politiques ou particuliers contactent nos présidents et nous participons à des campagnes politiques, de sensibilisation, de publicités etc. ». Notre secteur est très bien organisé. J’ai déjà ma chemise jaune de MOZEB « Mouvement des Zémidjans pour un Bénin d’Espoir ». Bientôt la période électorale au Bénin et les partis politiques auront besoin de nous pour faire campagne tout comme au cours des élections passées s’enthousiaste Pierre. « Nous sommes des vecteurs de communication en déplacement, une force électorale non négligeable et nous sommes en contact avec les populations toute la journée. C’est ce qui explique notre utilité pour ceux qui font les campagnes » explique t’il.
Dans un article sur les taxi-motos en Afrique, Jeune Afrique confirme que « les candidats aux différentes élections législatives et municipales au Cameroun savent qu’ils ne peuvent pas gagner sans leur soutien ». Cette organisation bien établie permet aux zémidjans de participer au développement de leurs pays. Ils sont plusieurs à payer des taxes dans les mairies. Etienne nous expliquait que les taxi-motos payent 5.000 par an comme impôt. C’est aussi le cas à Douala. Au Bénin, la mairie de Cotonou aurait mis sur pied une taxe pour les taxi-motos de sa commune. 4 800f cfa serait la somme de cette taxe à payer par mois désormais. Pierre nous dit qu’il payait des taxes avant, mais que ce n’était pas si élevé. « On payait 2 700 f cfa ou moins par mois mais avec cette augmentation ajoutée à nos dépenses mensuelles, on ne pourra pas s’en sortir » dit Pierre résigné. Il ajoutera quand même que ça permettra d’organiser mieux le secteur et participer au développement. Cette organisation permet aux conducteurs de bénéficier des services d’assurance mais aussi des prêts de crédits que lancent parfois les gouvernements. Au Togo, le gouvernement a même créé une mutuelle des conducteurs de taxi-moto qui prend en compte l’assurance maladie, la retraite, la formation mais aussi une reconversion volontaire vers d’autres activités.
Parce que justement malgré son rôle dans l’économie de leurs pays, malgré l’organisation et l’encadrement, les taxi-motos sont toujours considérés comme une activité du secteur informelle.