Election présidentielle en Guinée-Conakry : Alpha Condé ou comment sortir par la petite porte
Ce 18 octobre, les guinéens se rendront aux urnes pour choisir un nouveau président parmi 12 candidats dont le président sortant Alpha Condé et son principal opposant depuis 2010, Cellou Dalein Diallo. Candidat à un troisième mandat, Alpha Condé a déjoué tous les pronostics de démocrate bon teint que pouvait lui prédire son passé d’opposant aux régimes répressifs de Sékou Touré et de Lansana Conté qu’il a successivement combattus. Une décision qui interroge sur l’image qu’il laissera dans l’histoire de son pays et aux yeux du monde.
Au terme de la convention nationale de son parti tenue au palais du peuple à Conakry du 5 au 6 août, Alpha Condé a été désigné candidat du RPG pour les élections présidentielles du 18 octobre 2020. Présent à la séance de clôture de la convention, le président guinéen disait « prendre acte » du choix de son parti. Ce qui n’était qu’un faux suspens. Car, un mois après, le voilà candidat, battant campagne pour un troisième mandat.
Il faut dire qu’aussitôt après son élection pour un deuxième et dernier mandat selon la constitution sous lequel il a été réélu, Alpha Condé n’a jamais caché sa volonté de rempiler à nouveau. Du moins, aux yeux de ses opposants.
Une constitution taillée sur mesure pour se maintenir au pouvoir
19 décembre 2019 au soir, dans une adresse à la nation, Alpha Condé annonçait son projet de nouvelle Constitution pour remplacer celle de 2010. Pour l’opposition, il n’y avait pas de doute : Alpha Condé vise un troisième mandat. Et pour cause ! Pour ses partisans, « la nouvelle constitution donnerait le droit au président guinéen de se présenter à un troisième mandat, puisque les compteurs sont désormais remis à zéro ». Mais, le contenu même du texte laissait déjà présager qu’il se portera candidat. Selon la Constitution de 2010 révisée, « en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ». Dans la nouvelle désormais en vigueur, « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de six ans, renouvelable une fois. » Ce qui ouvrait déjà la voie à sa candidature. Opposé à ce troisième mandat, le Front national de défense de la Constitution, une coalition de partis et d’organisations de la société civile, a manifesté pendant des mois sans suite, avec parfois des morts. Contre vents et marrées, et dans un contexte qui inquiète la communauté internationale, Alpha Condé est candidat. Il a opéré un virage que peu de gens s’expliquent. Pour le journaliste Boubacar Sanso Barry, directeur du site d’info Ledjely.com, « Le virage a été tellement brusque qu’on se demande s’il s’agit d’un virage ». Ancien opposant historique, premier candidat démocratiquement élu en Guinée en 2010, avant d’être réélu en 2015, le monde entier l’admirait pourtant. En 2010, lors de son investiture pour son premier mandat, il promettait même d’être le Mandela de la Guinée. Ce qu’il est loin de réaliser.
Une image de démocrate ternie pour la soif du pouvoir
En se portant candidat pour un troisième mandat, Alpha Condé est entré dans le cercle des présidents qui s’accrochent au pouvoir en arguant d’une nouvelle constitution qui remettrait tout le compteur à zéro. Il sait d’ailleurs que cette volonté farouche de se porter à nouveau candidat manque de logique.
Dans une interview accordée à RFI et France 24, ce mardi 6 octobre, il se défend « qu’il ne cherche pas à faire une présidence à vie ». Mais, lorsque les journalistes lui demandent « S’il est réélu le 18 octobre pour un troisième mandat, est-ce que se sera son dernier mandat, le président sortant élude la question et affirme que, pour le 18 octobre, il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant… [de l’avoir tué]. Sous-entendu : il ne faut pas crier victoire trop vite ».
Ce changement de discours et une imprécision dignes des potentats qui s’accrochent au pouvoir, sans vouloir le laisser choque Jean-Baptiste Placca. Dans sa chronique « la semaine de Jean-Baptiste Placca », publiée le 3 octobre sur RFI, le journaliste s’indigne que « c’est à se demander si les dieux ne rendent pas d’abord sourds et aveugles les dirigeants politiques qu’ils veulent perdre. Car enfin, personne ne peut raisonnablement penser que cette chevauchée effrénée vers le troisième mandat se termine autrement que mal, en Guinée comme en Côte d’Ivoire. » Il rappelle surtout que « le chaos et/ou la guerre ne surgiront pas nécessairement dès le lendemain de cette présidentielle, et encore ! Mais, même s’ils ont, dans l’immédiat, l’impression d’avoir gagné la partie, les conséquences, tôt ou tard, viendront, et elles seront probablement violentes, certainement dramatiques, non seulement parce que cette quête est politiquement contre nature, mais aussi parce qu’elle plonge ses racines dans bien trop d’injustices ». « Changer la Constitution pour son bénéfice personnel, et se croire, du coup, exempté des limites que vous imposait la précédente, ce n’est pas bien », déplore-t-il. Avant lui, lors du 57e sommet ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) tenu à Lomé le lundi 7 septembre, le président Buhari rappelait déjà que « Il est important qu’en tant que dirigeants de nos différents États membres de la Cedeao, nous respections les dispositions constitutionnelles de nos pays, notamment en ce qui concerne la limitation des mandats. C’est un domaine qui génère des crises et des tensions politiques dans notre sous-région« . Condé mène-t-il son pays vers des crises et des tensions ? Les jours à venir nous édifieront.