Economie africaine : la tontine, un outil de développement économique ?!
La culture de l’utilisation des banques mais aussi des prêts n’étant pas très développée en Afrique, d’autres systèmes d’épargne financière voient de plus en plus le jour. C’est le cas de la tontine qui existe en Afrique depuis des années et qui se développe de plus en plus sous plusieurs autres formes. Malgré les risques liés à cette forme d’épargne et de prêts d’argent, les participants y trouvent quand même des avantages.
Elles se sont réunies dans la cour de maison, située au quartier Togoudo au Bénin, de la présidente de leur groupe. Comme de coutume, chaque premier dimanche du mois, ces femmes réunies dans un groupe qu’elles appellent « Groupe des femmes capables », se voient pour que l’une d’entre elles ramassent une somme importante issue de l’économie de chacune d’entre elles. Existant depuis une dizaine d’année, ce groupe qui a vu le jour grâce à une entente entre amies, met en place chaque année une tontine encore appelée ‘’Gbè’’ en langue fon. La somme à donner par chaque participante est connue après avis de toutes. Cette année, il a été arrêté que chaque participante donne 20 000 Frs CFA par mois et elles sont 12 femmes. Ce qui fait une somme de 240 000 Fr CFA que l’une d’entre elles devrait prendre chaque 1er dimanche du mois suivant l’ordre de ramassage établie au début. Mais compte tenu des règles de leur groupe, l’heureuse du jour ne prendra que 230 000 Fr CFA, à raison de 5 000 pour la présidente et 5 000 Fr pour la caisse du groupe puisqu’à la fin de chaque année, elles organisent une petite réception entre elles.
Ce fonctionnement et cette mode d’épargne de l’argent ne sont pas chose rare en Afrique. Selon le site tontine8.com, les premiers écrits faisant mention de tontines en Afrique remontent à 1952. Appelée « L’esusu », nom de la tontine au Nigéria, Susu au Togo et au Ghana, Chilemba au Kenya, Zambie ect, la tontine aurait cependant existé depuis le milieu du 19ème siècle. Zygmunt Bouman, éminent sociologue d’origine polonaise écrivait déjà en 1977 la définition la plus précise de ce qu’est une tontine : « Les tontines sont des associations regroupant des membres d’un clan, d’une famille, des voisins ou des particuliers, qui décident de mettre en commun des biens ou des services au bénéfice de tout un chacun, et cela à tour de rôle » rapporte le site tontine8.com. Elle est pratiquée par presque 100% de la population de nos jours. L’institut Afrique Monde explique cette importance des tontines par le peu d’accès aux services financiers. « En 2018, en Afrique 85% de la population est exclue du système bancaire et n’a pas accès aux services financiers malgré les 25 bourses que compte le continent. Par exemple, en Côte d’Ivoire, le taux de bancarisation est seulement de 15%. De ce fait, les africains ont décidé depuis longtemps de se tourner vers un système de crédit informel qui permet d’obtenir du financement facilement et rapidement : il s’agit du mécanisme des tontines » explique le site de l’institut. Mais la solution des tontines est un système de crédit informel qui malgré les avantages recèlent d’énormes risques pour les épargnants.
Secteur informel risqué
Alors qu’elle est une étudiante, dame Murielle a participé durant une année à une tontine. Elle s’est proposée pour que son tour de ramassage soit à la fin de la tontine. Mais un peu avant cette date, la présidente de la tontine a eu quelques problèmes lui a-t-elle expliqué. Depuis Murielle et plusieurs d’entres elles ne sont toujours pas rentrées en possession de leur fonds malgré les menaces d’emprisonnement proférées contre la présidente. Déçue, dame Murielle jure de ne plus jamais participer à une tontine. Mais les avis divergent. Monsieur Hugues nous témoigne que plusieurs de ses réalisations ont été faites grâce aux nombreuses tontines auxquelles ils participent. « Chaque mois, plus de la moitié de mon salaire rentre dans mes différentes tontines. Depuis que je les fais, je n’ai jamais été déçu. Je participe même à des tontines où je ne connais pas celui qui gère. Des amis de confiance m’informent et quand je suis intéressé, je le fais. J’envoie ma part et à mon tour, on me remet mon argent. C’est très bénéfique pour moi » nous avoue t’il. Et si Dame Célestine a connu déjà des mésaventures parce qu’une fois, l’une des gérantes de sa tontine s’est retrouvée emprisonnée parce qu’elle aurait mal géré la tontine, Célestine continue quand même de participer à cette forme d’épargne financière. « Je n’ai pas trop confiance aux banques. Je connais les risques mais je préfère sincèrement faire des tontines ou au pire épargné mon argent dans des petites institutions financières » justifie-t-elle.
L’avis d’expert…
Armel Bruno Allavo est Administrateur de banques, consultant en finance digitale, expert en éducation et inclusion financière. Dans l’interview qu’il nous a accordés sur le phénomène de la tontine, il explique que la tontine, est un phénomène normal qui consiste pour des personnes à mettre ensemble des fonds et à désigner préalablement les tours de ramassage de chacun afin qu’ils puissent en disposer librement. Cette forme de tontine se fait généralement entre des personnes qui se connaissent bien. Selon l’expert, cette forme de tontine présente moins de risque aux différents participants quoiqu’un peu informel. « Il arrive que les participants ne maîtrisent pas toujours leur tour parce qu’on ne le leur indique pas clairement… On pouvait t’informer que tu ramasses le deuxième tour et parce que le responsable a des affinités particulières avec un membre ayant un souci financier, il le positionne et repousse ton tour… Autant d’aspects à ne pas oublier » explique t’il. Et comme pour répondre à dame Célestine qui affiche une méfiance envers les banques, Bruno Allavo nous dit qu’il y a une méfiance envers les banques parce que les populations n’ont pas encore bien compris l’importance de leur rôle. Une banque est le lieu par excellence de sécurisation des ressources financières. Ils continuent en ajoutant que « les populations pensent que leur argent, à la maison, est plus accessible et plus sécurisé que dans une banque qui n’a pas pris le temps de bien les éduquer. Aussi certaines mauvaises pratiques de certaines institutions bancaires notamment liées à la protection des clients, la transparence dans la tarification des services sont autant d’éléments qui poussent des clients à préférer ne pas se bancariser ».
Et comme pour confirmer les risques liés aux tontines, l’administrateur de banques nous affirme que les institutions d’épargne, en fonction de la règlementation, garantie la restitution des fonds déposés par le client en cas de vol, incendie, ou autres sinistres. « Et c’est là toute la différence entre une institution agréée et une institution informelle. Aucune sécurité des fonds déposés quand vous vous aventurez avec une institution d’épargne non autorisée (je ne voudrais pas rappeler la situation vécue par les béninois autant des années 2010) … »
Mais malgré cette sécurité garantit par les banques et les institutions financières, les tontines en Afrique ont encore de beaux jours devant elles. Chaque jour, elles se réinventent pour s’adapter aux besoins des participants. Il existe de ce fait toutes sortes de tontines : des tontines commerciales, où les participants s’engagent à utiliser les fonds reçus pour une activité commerciale, mais aussi des tontines mutuelles où chaque ramassant utilise on argent comme il l’entend. Mais de plus en plus, on trouve aussi d’autres formes de tontines où il n’est plus question d’avoir des fonds mais de recevoir soit des ustensiles, des pagnes, des produits ménagers, etc. à la fin de l’année. Une forme de solidarité, un phénomène social, la tontine en Afrique reste quand même un outil de développement.