Dépigmentation en Afrique : les africaines en quête d’identité ?
Un tour dans les villes africaines et le constat est là. Des panneaux publicitaires vantant les mérites des pommades éclaircissantes se retrouvent aux grands carrefours, sur les murs de certains immeubles. En effet, c’est un secteur qui prend de jour en jour de l’ampleur. Nombreuses sont les femmes africaines et parfois certains hommes qui font tout pour avoir une peau plus claire. Effet de mode, suivisme, souci d’esthétique ? On ne saurait le dire.
Dans un sondage fait en 2017 sur le phénomène de dépigmentation en Afrique, le journal Sénégalais « La Cloche » classait la République Démocratique du Congo, premier pays où la population pratiquait, le plus, le blanchiment de la peau. Ce pays est suivi du Sénégal, du Mali, de l’Afrique du Sud, du Togo, du Nigéria. Deux sénégalaises sur trois ont recours à cette pratique. Ces dernières années en effet, le phénomène a pris de l’ampleur en Afrique noire notamment. Les femmes, dans le souci de plaire, d’être plus belles, s’adonnent au blanchiment de la peau. Appelé « Khessal » en Wolof au Sénégal, « Bodjou » en langue Fon au Bénin, « Tchatcho » en Côte-d’Ivoire, la dépigmentation était pratiquée par les vendeuses de sexe. Mais au fil des années, cette pratique a pris de l’ampleur et a gagné toutes les couches de la société. Pour se faire éclaircir la peau, tous les moyens sont bons. Mais le plus rapide reste l’achat des pommades, savons éclaircissants à bas prix qui inondent le marché du cosmétique en Afrique.
Des raisons diverses
« Je me suis dépigmentée une fois. J’ai amené 300 000 francs CFA chez l’esthéticienne et elle m’a remis 12 000 fr comme monnaie. Je l’ai fait parce que les femmes claires sont plus belles. ». C’est ce que nous confesse Ramathou, infirmière au CNHU de Cotonou. Pendant des mois, elle s’est laissé convaincre par la raison selon laquelle, pour être belle, il faut être clair de peau. « C’est ce que la société nous impose en définissant un idéal de beauté, qui est la femme claire » renchérit Michelle, employée de Banque à Paris.
Sur plusieurs chaines africaines, les publicités vantant les mérites des pommades et savons éclaircissants sont légions. Elles montrent des femmes de peaux foncées qui après utilisation de telle ou telle gamme de soins corporels éclaircissants sont devenues « plus belles » avec un teint « plus rayonnant ». C’est donc devenu un phénomène de mode ou même une contrainte professionnelle où le « paraitre » est très important.
Ces soins utilisés contiennent très souvent le Gluthation ou même l’hydroquinone. Un produit qui permet de détruire les mélanocytes qui sont les cellules de l’organisme qui produisent la mélanine. Les étalages des marchés en Afrique regorgent de ces produits. Des boutiques sont installées à tous les coins de rue et voient les revendeuses devenir des spécialistes en soins esthétiques. Un peu comme Dame Dulcinée, revendeuse de produits cosmétiques à Cotonou, qui, mi-gênée, mi-fière, nous raconte qu’elle conseille ses clientes quand celles-ci viennent pour avoir une idée des produits à utiliser pour devenir claires. « Je lis les notices de tous les produits que je vends, donc j’ai plus de facilité à conseiller » argumente t’elle face à notre question de savoir si elle a reçu une formation en cosmétologie. D’autres femmes pour une action plus rapide de cette dépigmentation, n’hésitent pas à utiliser d’autres procédés comme du détergent sur la peau de leur visage ou sur leur corps, du produit pour défriser les cheveux, de l’eau oxygénée et bien d’autres encore.
Cependant, d’autres femmes préfèrent la peau noire et rejettent la dépigmentation. « La dépigmentation est un rejet de sa personne. Une femme doit s’assumer. En voulant te changer le teint, tu exposes à la société ta vulnérabilité, ton manque de confiance » nous dit Murielle, étudiante Malienne. Blanche T. fonctionnaire à Cotonou, a quant à elle, un avis plus indigne et spirituel. Pour elle, se dépigmenter, c’est renier Dieu, le créateur qui nous a créé avec la peau qui nous convient. « Alors quand on décide d’avoir une peau claire alors qu’on est naturellement noire, c’est un péché » argumente-t-elle.
Loin de ces arguments et convictions religieuses, la pratique de la dépigmentation a des conséquences désastreuses sur la santé.
Risque de cancer de peau…
« Le défaut de mélanine causé par les produits éclaircissants de soins utilisés sera à la base des effets visibles et d’autres non visibles qui sont graves tels que l’hypertension artérielle, le diabète, le cancer de peau dû aux effets des rayonnements ultraviolets » nous dit un dermatologue au service dermatologie du Centre Hospitalier Hubert Maga de Cotonou. Il poursuit pour parler des effets visibles de cette pratique. Il s’agit de l’hyperpigmentation aux zones « résistances », les vergetures, l’ochronose exogène, l’atrophie de la peau qui laisse transparaitre les veines. Des propos confirmés par le Docteur Adonis Logbo. Il explique que « ces pommades endommagent et altèrent la qualité de la peau qui est la première couche de défense de l’organisme. Ça entraine une fragilisation et une exposition de la peau à plusieurs maladies d’origines infectieuses qui peuvent évoluer vers des affections d’origines tumorales ».
Si donc le souci de plaire, d’être plus belle est la première cause de ce phénomène, les conséquences sur la santé ne sont pas des moindres. L’infirmière Ramathou, très consciente des conséquences nous explique que « pour une femme dépigmentée ayant subit une césarienne, il y a le risque que la plaie ne se cicatrise vite et donc s’infecte ».
Des conséquences qui amènent le Docteur Adonis a conseillé aux africaines d’éviter tout produit susceptible de modifier la peau. « Il faut choisir les produits naturels faits à base de miel, de beurre de karité, d’aloès qui sont des produits plus adaptés à la peau » a-t-il ajouté.
Malgré la prise de conscience de certains africains, les conséquences sanitaires de la dépigmentation, tout porte cependant à croire que ce phénomène a encore de bons jours devant lui. Il faut une politique d’interdiction de l’importation de ces produits dans les pays africains, une sensibilisation sur les conséquences de cette pratique. Des mesures qui doivent être prises par les gouvernants africains.