Politique en Afrique : l’ivresse du pouvoir (2ème partie)
Yahya Jammeh a fini par céder face à la pression de la communauté internationale. Son successeur, Adama Barrow peut enfin entrer dans ses fonctions de président de la Gambie. Place à la réalité du pouvoir.
Alpha Condé et Adama Barrow face à leurs opposants
Elu en 2010, Alpha Condé a été réélu en 2015 pour ce qui doit être son dernier mandat selon la constitution actuellement en vigueur en Guinée, adoptée en 2010. Selon cette constitution, « en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ». Sauf qu’entre-temps, Condé a décidé de rabattre les cartes dans son pays. En septembre 2019. Profitant d’un voyage à New York, il suggère l’organisation d’un référendum pour modifier la Constitution. En réaction, un important mouvement de contestation, le Mouvement FNDC, fédérant les principaux partis d’opposition (l’UFDG de Cellou Dalein Diallo et l’UFR de Sidya Touré) ainsi que les plus importantes organisations de la société civile, se dresse contre l’initiative présidentielle depuis des mois. Cependant, rien ne semble arrêter Alpha Condé dans sa volonté de réforme constitutionnelle. Pas même les dégâts humains et matériels des suites de la répression des manifestations. Le bilan est moins reluisant pour un « démocrate ». La revue de presse Afrique du 16 janvier 2020 sur RFI nous renseigne sur la situation du pays. « Les manifestations à l’appel du Front national pour la défense de la Constitution, collectif de partis, de syndicats et de membres de la société civile qui mène la protestation, ces manifestations ont été violemment réprimées (…). »
Exemple, pointe le site guinéen Aminata, « à Ratoma, dans la banlieue de Conakry, où ont eu lieu « de graves exactions » sur les populations. À Koloma, des agents de services de sécurité sont accusés d’avoir mis le feu à des commerces. À Cosa, Wanidara et Bailobaya, des éléments des forces de l’ordre se seraient introduits dans des concessions pour renverser des marmites sur le feu et des repas. Plusieurs arrestations arbitraires ont été signalées, des vieilles personnes molestées. (…) L’image qui a le plus choquée, relève encore Aminira, est celle d’un enfant de moins de 10 ans dont la tête a été écrasée par des balles des forces de l’ordre, selon des voisins de la victime. Une version balayée d’un revers de main par le gouvernement. » Dans cette revue, il est rapporté que « la journée de mobilisation a fait deux morts, confirmés par les autorités (…). »
Voilà là un récit digne des régimes autoritaires que peu aurait imaginé sous le règne d’un président ayant souffert de la répression des libertés fondamentales et ayant dénoncé et combattu ces mêmes pratiques quand il était dans l’opposition.
En se portant candidat en 2016, Adama Barrow avait promis quitter le pouvoir après trois ans d’exercice. Mais, à échéance, le désir de finir un mandat de cinq ans l’a gagné. Position contre laquelle un collectif s’est créé. « Trois ans, ça suffit ! » demande au président Barrow de respecter sa promesse électorale de quitter le pouvoir au bout de trois ans ; l’échéance étant tombée le 19 janvier 2020. En réponse, signale Frédéric Couteau dans la revue de Presse Afrique sur RFI le 28 janvier 2020, « le gouvernement a lancé (…) une contre-attaque drastique pour éteindre le mouvement de contestation qui réclame [son] départ. Le collectif est interdit avec effet immédiat, 137 personnes ont été interpellées, soupçonnées de mener des actions subversives, dont 4 journalistes et 2 stations de radio ont été suspendues. »
Tant dans leurs pays respectifs qu’en dehors, les présidents Alpha Condé et Adama Barrow par leurs réactions aux manifestations légitimes de leurs populations. Poursuivant la Une de la presse africaine, Frédéric Couteau ajoute, en rapportant les interrogations du quotidien Aujourd’hui au Burkina : « Pourquoi celui-là même qui a battu par les urnes le tyran de Banjul se retrouve aujourd’hui contesté ? Si le retournement de la parole présidentielle explique en partie cette clameur de la rue, ça n’est pas la seule raison. (…) 22 ans durant, et sous la férule de Jammeh, les Gambiens n’avaient ni liberté, ni économie prospère. Actuellement cet existant n’a pas fondamentalement changé et on nage toujours en pleine choucroute en matière des droits de l’homme, malgré l’exhumation des crimes « yayamesques » et l’instauration de la commission vérité et réconciliation. »
Et comme pour rappeler des exemples de promesses non tenue sur le continent africain, le quotidien Le Pays toujours au Burkina Faso rétorque : « il est temps, en Afrique, que la politique réponde à une certaine éthique » : « les peuples ne sont pas toujours dupes ni amnésiques. Et Adama Barrow est en train de vivre l’expérience de la parole donnée, que certains de ses pairs, avant lui, se sont vus rappeler par leur peuple, à des degrés divers. Comme, par exemple, le président béninois, Patrice Talon, qui promettait de s’en tenir à un mandat unique, pour nettoyer les écuries de… Boni Yayi et qui n’est manifestement pas en train d’en prendre le chemin. Bien au contraire. Ou encore Macky Sall dont la promesse de réduire le mandat présidentiel de deux ans en commençant par appliquer ladite mesure à lui-même, semble aujourd’hui reléguée aux oubliettes, (…) »
Concernant Alpha Condé, le quotidien analyse « Le pays de Sékou Touré est en train de tanguer à cause du président Alpha Condé qui, contre vents et marées, tient à rester au pouvoir. (…) Depuis que l’opposition a officialisé son refus de prendre part aux élections législatives du 16 février prochain, il s’est radicalisé. (…) C’est à croire que la boulimie de pouvoir lui a fait perdre la tête au point de dresser un bûcher contre son pays. (…) »
En Guinée comme en Gambie, une accalmie semble s’observer. Mais, jusqu’à quand, vu la détermination des manifestants dans ces pays à faire entendre leur voix.
Dans sa parution n°3083 du 9 au 15 février, le magazine Jeune Afrique titre, parlant du président gambien : « Adama Barrow tombe le masque », avant de s’interroger « a-t-il pris goût au pouvoir ? » Question valable pour tous ces présidents, hier opposants, dont le régime semble être le prolongement des pratiques qu’ils reprochaient hier à leurs prédécesseurs quand ils étaient dans l’opposition. Le pouvoir enivre est-on tenté de penser.