Politique en Afrique : L’ivresse du pouvoir (1ère partie)
Hier encore, ils étaient des irréductibles opposants, dénonçant avec force et vigueur ce qu’ils appellent les tares du régime qu’ils combattaient. Mais à leurs tours, des présidents de la république, anciens ou encore au pouvoir, se retrouvent eux aussi, au centre des critiques de leur opposition, concentrant sur leur régime les mêmes critiques que quand ils étaient opposants. Certains, au nom du maintien de l’ordre public, déploient l’armée et la police contre leur opposition avec parfois des scènes de répression rappelant le temps où ils étaient opposants. D’autres, envisageant des réformes constitutionnelles auxquelles ils tiennent à tout prix malgré les marches de protestation, et se taxent de vouloir régner à vie. Le pouvoir, une fois acquis, transforme ou monte à la tête, est-on tenté de dire.
Alpha Condé, actuel Président de la Guinée ; Adama Barrow, président de la Gambie. Ces deux-là, pour ne citer qu’eux, ont en commun d’avoir été des opposants aux régimes qu’ils ont défaits dans les urnes dans leurs pays respectifs.
Les opposants Condé et Barrow face aux présidents Conté et Jammeh
Dans un article intitulé « La Guinée depuis l’arrivée au pouvoir de Lansana Conté » et publié le 23 décembre 2008, au lendemain de son décès, le journal français La Dépêche, rappelle sur son site le parcours du prédécesseur d’Alpha Condé, actuel président de la Guinée. Le 3 avril 1984, une semaine après la mort de Sékou Touré, au pouvoir depuis 1958, un Comité militaire de redressement national (CMRN) prend le pouvoir en renversant le président intérimaire, Louis Lansana Beavogui et porte à sa tête le colonel Lansana Conté, qui devient alors chef de l’Etat. Le nouveau chef de l’État, explique Le Nouvel Observateur dans un portrait sur son site le 23 juin 2008, dénonce le régime de son prédécesseur Sékou Touré et s’engage à établir un régime démocratique, à sortir la Guinée de son isolement international et à exploiter les ressources naturelles. Il se pose en défenseur des droits de l’Homme en libérant 250 prisonniers politiques, encourageant ainsi le retour d’environ 200 000 Guinéens de l’exil. Ces actions d’éclat lui valent, quelques mois plus tard, sa nomination comme Secrétaire général du Parlement international pour la sécurité et la paix, une organisation intergouvernementale basée en Italie. Mais, cette embellie démocratique n’aura duré que neuf ans, sur les vingt-quatre qu’aura durés son règne. Dès 1993, le régime bascule.
Lors de l’élection présidentielle de 1993, Lansana Conté, candidat du Parti de l’unité et du progrès, est opposé à huit candidats, dont Alpha Condé. Le président sortant l’emporte dès le premier tour de scrutin avec 51,7 % des suffrages. Cette élection vivement contestée par les partis d’opposition à la suite de la décision de la Cour suprême d’annuler les résultats de deux préfectures où Condé avait obtenu plus de 90 % des voix finit de dévoiler un visage plus radical du régime Conté. Réélu avec 56,1 % des suffrages en 1998, il renoue peu à peu avec les pratiques autoritaires de Sékou Touré, son prédécesseur qu’il a dénoncé dès sa prise de pouvoir en 1984, en faisant notamment arrêter de nombreux opposants. Parmi les victimes des années Lansana Conté, figure l’actuel président de la Guinée, Alpha Condé.
Candidat à nouveau aux élections présidentielles de décembre 1998, Alpha Condé est arrêté et emprisonné avant la fin du scrutin. Il est maintenu en prison pendant plus de vingt mois avant que le gouvernement ne constitue une cour spéciale pour le juger. Son incarcération sans procès soulève un fort mouvement de protestation international. Amnesty International dénonce une violation des droits de l’homme et le Conseil de l’Union interparlementaire, une violation de l’immunité parlementaire dont Alpha Condé bénéficie en tant que député guinéen. Reggaeman engagé, l’ivoirien Tiken Jah Fakoly compose « Libérez Alpha Condé » qui est adopté par la jeunesse comme hymne à la gloire des martyrs et prisonniers politiques africains. Condamné en 2000 à cinq ans de prison pour « atteintes à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national », il est finalement libéré le 18 mai 2001, à la suite d’une grâce présidentielle, 28 mois après son arrestation et huit mois après son procès organisé par la « Cour de sûreté de l’État guinéen » qui était spécialement constituée à cet effet.
Changement de décor, mais situation similaire. En Gambie, Yahya Jammeh a régné pendant 22 ans en maître absolu et incontesté. Il accède le 22 juillet 1994 à la faveur d’un coup d’État qui renverse Dawda Jawara qui dirigeait le pays depuis l’indépendance. Il est élu une première fois le 29 septembre 1996, avant d’être réélu dès le premier tour de l’élection présidentielle du 18 octobre 2001 avec près de 53 % des suffrages. Après un troisième mandat en 2006, il obtient un quatrième mandat de cinq ans le 24 novembre 2011. Le dernier de son long règne entaché d’actes de violation des droits des humains.
Selon l’AFP dans un article paru le 31 mars 2012, avant les élections législatives de cette année-là, il menace « d’isoler » les régions où son parti ne remporterait pas le scrutin — menace qu’il avait prononcée et mise en application lors de précédentes élections.
Jammeh est classé comme un prédateur de la liberté de la presse par l’organisation Reporters sans frontières, avec la promulgation de deux lois, en 2004 et 2005, restreignant cette liberté, ainsi que depuis l’assassinat en 2004 du journaliste opposant Deyda Hydara. Le 28 septembre 2009, il menace de mort les défenseurs des droits de l’homme lors d’un entretien à la télévision d’État, accusant ces derniers de vouloir « déstabiliser le pays », rapporte une dépêche de l’AFP du 21 septembre 2009. Le régime Jammeh est accusé d’assassinats des opposants. Le travail de la Commission vérité et réconciliation mise sur pied en décembre 2017 permet de faire la lumière sur son règne à la tête de la Gambie. En novembre 2016, il annonce qu’il se présente à l’élection présidentielle pour un cinquième mandat successif. Confronté à une opposition de plus en plus importante à l’intérieur de la Gambie, il est battu le 1er décembre par son opposant Adama Barrow, et reconnaît sa défaite dès le lendemain. Rétropédalage ! Une semaine après sa précédente déclaration, il conteste à la télévision nationale sa défaite et dénonce une erreur dans le comptage des voix par la Commission électorale indépendante, selon Le Monde dans un article publié en ligne le 10 décembre 2016.
Mais, face à la pression de la communauté internationale, il s’exile en Guinée Equatoriale.