Immigration : l’Afrique, le nouvel eldorado (2ème partie)
Les chiffres sont existants et alarment. Chaque année, des milliers d’africains à la recherche de l’eldorado, quittent leurs pays pour l’Europe. Si d’autres font le voyage de façon légale dans le cadre de leurs études ou autres, ils sont quand même nombreux à braver les eaux de la méditerranée, au risque de leur vie, pour atteindre leurs nouvelles destinations. Des départs qui ne sont pas sans conséquences négatives mais aussi positives sur l’économie des pays de l’Afrique. La 1ère partie de notre série d’article sur l’immigration.
Mamadou S. est un jeune malien de 30 ans. Un an déjà qu’il a informé sa famille de son désir de partir de San, sa ville natale située dans la région de Ségou au centre du Mali. Avec un baccalauréat littéraire en poche, il a multiplié des petits boulots pendant cinq ans sans pouvoir s’en sortir. « Mes parents n’avaient plus les moyens pour que je fasse des études universitaires. J’ai 10 frères et sœurs dont 5 inscrits à l’école. Donc j’ai décidé de laisser les cours pour aider mes parents » nous raconte t’il. Durant ce parcours entre de petits boulots, il deviendra père d’une petite fille en 2016. Face à cette nouvelle charge et sans perspectives, il décide d’aller en aventure pour offrir un avenir meilleur à sa famille.
Informée de sa décision, son père et sa mère avec l’aide des oncles et des amis, lui réuniront la somme d’un million pour son départ. « Je suis parti un jeudi nuit. L’Imam a assuré à mon père que c’est un bon jour pour que je fasse un bon voyage. J’ai quitté la nuit, pour rejoindre après plusieurs jours la Lybie avant de prendre le bateau » nous narre le jeune Mamadou à qui nous avons donné un nom d’emprunt vu qu’il préfère garder l’anonymat. Il continue pour expliquer « mon voyage n’a pas été facile. J’ai fait plusieurs jours en Lybie avant d’avoir la chance de prendre la mer. J’ai fait des petits boulots par ci par là, j’ai failli être séquestré mais je me suis fait un ami sur place qui m’a beaucoup aidé et ensemble, on s’en est sorti. Je suis en Italie depuis août 2018 » annonce t’il alors qu’il cherche actuellement des voies et moyens pour se faire établir des papiers comme touristes dans son nouveau pays. « J’ai été hébergé par une connaissance à un ami de mon père. Depuis mon arrivée ici, je fais face à la barrière de la langue mais je fais tous les boulots qui me tombent dans la main. C’est encore très difficile mais d’ici quelques années, tout rentrera dans l’ordre » espère celui qui a un délai d’un an pour rembourser le prêt d’un million fait par ses parents pour son départ.
Comme Mamadou, ils sont 144 166 migrants à atteindre l’Europe par la méditerranée en 2018 selon l’Organisation Internationale de la Migration qui a aussi publié que 2.297 migrants sont morts en mer cette même année. Venant des pays de l’Afrique notamment de l’Afrique Subsaharienne, ces migrants, fuient l’appauvrissement général observé sur le continent, les guerres politiques, la dictature, le terrorisme pour se lancer dans cette aventure au risque de leurs vies. Mais ils ne sont pas les seuls à partir. Face à ces migrants illégaux dont la situation préoccupe de plus en plus les pays de l’Europe, il y a ceux qui s’en vont pour poursuivre leurs études généralement. Ils sont aussi en nombre élevé qui après les études, opposent un refus catégorique quand on leur demande s’ils pensent retourner dans leur pays.
C’est le cas de Gbozo Ariel, titulaire d’une maitrise en Aménagement du territoire à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. Depuis 2016, il a rejoint la France pour poursuivre ses études et se spécialiser dans son domaine. Habitant Toulouse, il nous témoigne qu’il a dû refaire une licence en Géographie Aménagement et environnement. Pour justifier son départ du Bénin, Ariel nous parle d’abord du manque de spécialisation dans le domaine de la géographie au Bénin et ensuite du manque de débouchés. « Quand tu obtiens un diplôme comme le mien, le seul point de chute possible est de finir comme enseignant vacataire d’histoire géographie » dit il dépité avant d’ajouter qu’il se devait de pérenniser cependant la tradition familiale qui veut que chaque membre de la famille aille étudier à l’étranger. Tout comme Ariel, Sébastien H est parti du Bénin depuis 12 ans. Un départ motivé par les études mais aussi l’envie d’aller voir ailleurs. Une envie qui ne quitte pas ces jeunes partis depuis des années. Ils ne sont prêts à revenir dans leurs pays.
Ils contribuent à l’économie africaine
Pensez-vous revenir dans vos pays ? face à cette question, ils sont presque tous unanimes sur la réponse. NON. Si Sébastien a tenté de revenir et implanter une société, il sera très vite déchanté. « J’ai essayé une 1ère fois de rentrer et de créer une activité numérique (développement d’applications informatiques) mais ma société a coulé. Aimer son pays, c’est bien mais payer ses factures c’est encore mieux » nous dit-il alors que Mathieu, un autre jeune affirme qu’il ne se voit pas vivre ailleurs qu’en Europe. Le jeune Mamadou, lui espère même déjà faire venir sa femme et sa fille restées au pays mais aussi la plupart de ses frères et sœurs. « Non, si ce n’est pas pour de courts séjours, je ne pense plus rentrer en terre béninoise après mes études car ici malgré les difficultés, mon abnégation m’a permis de m’affranchir du carcan familial et d’obtenir assez tôt l’auto-suffisance financière » témoigne Ariel. Il ajoutera que l’Europe n’est pas l’eldorado mais « ici, les efforts déployés dans le travail payent mieux contrairement en Afrique. Je ne reviendrai que si j’ai une occasion en or ».
Des occasions en or, c’est ce que ces jeunes offrent à leurs familles restées au pays et donc sur l’économie africaine. Yacine Bio Tchané, expert en Economie au Bénin, nous dit que le départ de ces jeunes constitue une perte des bras valides pour l’Afrique. Toutefois, l’expert reste formel sur le fait que les migrants investissent beaucoup plus dans leur pays d’origine. « Les migrants rapatrient de l’argent dans leurs pays. Ils s’organisent en association et construisent des routes, des centres de loisirs etc. Il y a des quartiers construits par des migrants au Sénégal » confirme-t-elle. Un argumentaire qu’utilise aussi le site rfi.fr. Dans un article sur l’immigration et ses effets positifs sur l’économie, le site écrit que « la migration est bénéfique pour le commerce et l’investissement puisque 3 % environ de l’investissement « étranger » en Afrique est lié aux expatriés ». Sabine Cessou, l’auteur de l’article ajoutera aussi que « les transferts d’argent représentent près de 5 % du PIB ouest-africain selon la Banque mondiale et plus de 10 % du PIB de nombreux pays (Sénégal, Cap-Vert, Liberia et Gambie, entre autres) ».
Yacine Bio Tchané revient sur ces effets positifs de l’immigration pour expliquer que de plus en plus, il est constaté une diminution du chiffre des migrants qui vont en Europe. Pour l’expert, la migration des africains dans d’autres pays africains est beaucoup plus forte ces dernières années. Dans le même sens, le site lefigaro.fr informe que « en Méditerranée centrale, on observe une nette baisse du nombre de passages illégaux depuis un an. Au total, 13.450 migrants ont été détectés par Frontex depuis le début de l’année, soit une chute de 77% par rapport à l’année précédente à la même période. Une baisse déjà constatée l’année dernière où 118.960 passages avaient été enregistrés, soit 35% de moins que lors du pic de 2016 ». Pour expliquer cet état de chose, weforum.org dira « qu’outre la création de passeports régionaux, la CEDEAO et la CAE ont récemment supprimé l’obligation de visa pour les citoyens des États membres. La CEDEAO a même supprimé les permis de séjour pour ses citoyens. En mars 2018, l’Union africaine a adopté un protocole sur la libre circulation à l’échelle du continent qui, s’il est signé et mis en vigueur par tous les États membres, améliorera considérablement les migrations intra régionales ». Les difficultés pour obtenir les visas et les conditions de vie en Europe font vite reculés les potentiels migrants vers l’Europe. Un fait qui n’est qu’un point positif pour l’économie africaine qui tente coûte que coûte de s’affirmer.