Droit à l’avortement en Afrique : non, n’en parlons pas !
En ce samedi 18 mai 2019, le festival de Cannes a connu une montée des marches particulière. Outre les grandes stars qui foulent le tapis rouge, ce sont des militantes des droits des femmes pour l’avortement qui ont aussi emprunté les marches du palais des festivals. Un foulard vert à la main, elles ont brandi une banderole en espagnol réclamant le droit à l’avortement ‘’sur et gratuit’’. Des grands noms du cinéma tels que l’actrice Pénélope Cruz ont apporté leur soutien au mouvement. Et pour cause, le sujet est délicat. Le droit à l’avortement reste un épineux problème pour nombres de femmes dans le monde. Si sous d’autres cieux, c’est un droit reconnu, en Amérique latine et surtout en Afrique, les femmes n’osent même évoquer publiquement le sujet. Mais elles se livrent à des avortements clandestins avec toutes les conséquences liées à cet acte.
La Tunisie, l’Afrique du Sud, le Cap-Vert et le Mozambique sont les pays de l’Afrique à légaliser l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Dans les autres pays, la situation reste bloquée. Si certains pays dans leur code pénal acceptent partiellement l’IVG notamment si ça permet de sauver la vie de la femme en danger, ou pour protéger sa santé physique, dans d’autres comme l’Angola, l’Egypte, le Sénégal, la Mauritanie, etc. l’interdiction, elle est totale sans exception légale explicite. Alors que selon des chiffres publiés par l’Institut Guttmacher en mars 2018, le nombre d’avortements provoqués chaque année en Afrique est estimé à 8,2 millions au cours de la période 2010-2014 en hausse par rapport aux 4.6 millions estimés annuellement en 1990-1994, en raison principalement de la croissance de femmes en âge de procréer. Du côté de l’Organisation Mondiale de la Santé on parle de 6 millions d’avortements estimés chaque année à travers le continent dont seulement 3% se font dans des conditions médicalisées et sures pour les femmes. Malgré ces chiffres alarmants, le sujet sur l’IVG reste tabou et celles qui le font clandestinement refusent d’en parler ou le font dans le secret.
Un récit effroyable…
Tel le cas de dame A. Dorcas qui nous fait le récit de son vécu. C’était le jeudi 02 octobre 2014 nous raconte-t-elle. Elle venait d’apprendre il y a trois jours qu’elle était enceinte après avoir effectué un test de grossesse à la pharmacie. « J’avais des signes de grossesse. La fatigue, le vomissement. J’ai décidé de faire le test et c’était positif. Mon copain et moi, on venait de se rencontrer. On n’avait pas les moyens financiers et mes parents n’accepteraient jamais ma grossesse surtout que j’étais encore sur les bancs de l’école. J’ai donc informé mon copain et ensemble, on a décidé de faire une IVG. Trouver le gynécologue a été le plus difficile. Je suis passée par des copines qui l’avaient déjà faite. On m’a donné des contacts et finalement j’ai pu trouver un. Il m’a dit être gynécologue dans un des hôpitaux publics du pays et qu’il ne pratiquait cette opération que très tôt le matin. On a donc pris le rendez vous pour le jeudi à 6h. Ce jeudi-là, mon copain m’a amené. Le monsieur est venu dans une voiture et nous a conduis sur les lieux. C’était dans une maison où sur les murs de la maison, il est juste écrit clinique. Une dame avec un enfant au dos, nous a accueillis. Je suis rentrée dans une salle et mon copain a reçu l’ordre de rester au dehors. Sans préambule, on m’a injecté une solution qui m’a mis dans les vapes. Je ne dormais pas. Mais je ne sentais plus rien. J’ai vu la dame apporter des instruments. Tout en papotant entre eux, j’ai senti une petite douleur. J’ai crié mais la dame m’a mis un pagne dans la bouche pour étouffer mes cris. Ça a été ainsi pendant 10 minutes au plus. Après on m’a essuyé, appelé mon copain et il a acheté des médicaments. Le monsieur a donné les instructions sur comment je devais les prendre et nous a remis un autre sac plastique noir. Nous sommes rentrés. C’est arrivé à la maison que j’ai compris que ce second sac plastique contenait les résidus de l’IVG que je viens de faire. On l’a enterré la nuit-là. Je me suis sentie mieux physiquement quelques jours après. Mais cet acte m’a marqué à vie » finit -elle dans les larmes.
Dame Dorcas est aujourd’hui mère d’un petit garçon toujours avec son copain devenu son mari. Si elle a eu la chance de s’en sortir, ce n’est pas le cas de dame Paola qui après son avortement a fait face à une hémorragie interne. Ayant subi son IVG sans informer ni ses parents ni des amis à elle, dame Paola fera face quelques heures après son opération à un écoulement abondant de sang. Alarmée, sa mère la conduira à l’hôpital où elle subira finalement un lavage en bonne et due forme. Les représailles, elle en connaitra pendant de longues années. D’abord, son histoire sera sue de son entourage qui l’indexera à chacun de ses passages, son copain la laissera et elle vivra pendant longtemps dans la peur d’avoir un autre enfant un jour. « Je connais des gens qui n’ont plus fais d’enfant après une IVG. Elles en ont subi qu’une et d’autres ont des enfants malgré leurs multiples avortements » nous confie t’elle soulagée d’être enfin enceinte actuellement.
Des conséquences très graves…
L’Institut Guttmacher est formel là-dessus. C’est en Afrique que le nombre d’avortements non sécurisés est le plus élevé (3 sur 4) avec les plus forts risques de décès soit 4,7 à 13,2% des décès maternels et un taux de 520 décès sur 100 000 avortements à risques. L’Institut en parlant des complications liées à un avortement non médicalisé parle d’avortement incomplet, la perte excessive de sang et l’infection. Dans le même sens, le Docteur en spécialisation de gynécologie obstétrique Hermionne Ahounou dit qu’en partant du fait que ce ne soit pas légalisé, tous les avortements sont considérés comme clandestins. « Maintenant réalisé dans des conditions non adéquates et par un personnel non qualifié, les risques sont multiples allant des risques hémorragiques à ceux infectieux pouvant conduire à la mort et aussi les risques d’atteinte à la fertilité ultérieure. Sans oublier les conséquences psychologiques » renseigne-t-elle. Le Docteur nous rappellera toutefois qu’on parle d’avortement quand il y a sortie du produit de conception avant le terme de viabilité qui est 22 semaines d’aménorrhée (SA) dans les pays développés mais 28 SA dans les pays en voie de développement. Et « une IVG doit se pratiquer par un spécialiste qui en fonction du terme de la grossesse décide de la méthode adaptée » ajoute-t-elle. Parce que les méthodes diffèrent.
Pour plusieurs femmes que nous avons interrogées, elles refusent de parler d’avortement tant qu’elles n’ont pas été voir un médecin pour subir une IVG. « J’ai pris des médicaments un mois après la disparition des mes règles et c’est revenu. Ce n’est pas un avortement à proprement parler » nous confie dame Geneviève alors que sa copine à côté nous raconte avoir pris des tisanes et insérer une tisane fait en boule dans l’utérus pour faire couler le sang. Pour chaque IVG clandestine, les méthodes diffèrent. Elles sont plusieurs à nous confier avoir pris aussi des boissons très amères et parfois chauffées pour interrompre leur grossesse. La gynécologue catégorique dit que ce ne sont pas des méthodes décrites et recommandées. Elle insistera aussi pour dire que la ‘’sédaspir’’ ni la ‘’quinine’’ ne sont pas des méthodes contraceptives ni des pullules du lendemain. Pour elle, c’est la patiente en concertation avec son partenaire et son gynécologue qui choisit la méthode contraceptive la plus adaptée pour elle.
En Afrique et dans certains pays de l’Amérique Latine qui sont des pays en voie de développement et surtout où les lois de la religion sont très présentes et pratiquées, il est difficile de faire passer la loi sur le droit à l’avortement. L’issue prendra du temps mais en attendant, des femmes continuent de mourir en pratiquant l’avortement clandestin sous le regard de tous.