Burkina-Faso: mariage forcé, non merci !
En Afrique, le mariage forcé des filles, loin d’être vu comme une atteinte aux droits des enfants, est une pratique socio-culturelle. Le phénomène trouve ses racines dans les traditions ancestrales même si aujourd’hui, il est combattu de tous les côtés pour permettre un meilleur épanouissement des jeunes filles d’aujourd’hui, femmes de demain. L’ONU Femme estime qu’à l’heure actuelle, 650 millions de femmes et de filles dans le monde ont été mariées avant l’âge de 18 ans. En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale – où cette pratique néfaste est la plus répandue – plus de quatre jeunes femmes sur dix ont été mariées avant leur 18ème anniversaire. Le mariage d’enfants se solde souvent par une grossesse précoce et un isolement social, interrompt la scolarisation, limite les possibilités de la jeune fille et l’expose davantage à la violence familiale.
« En termes d’ampleur, au Burkina Faso, 52% des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans et 10% avant 15 ans. Le Burkina Faso est le cinquième taux de prévalence du mariage d’enfants le plus élevé au monde ». Ces propos de Ida Tamini, spécialiste Genre et Développement à l’UNICEF au Burkina-Faso confirme la situation inquiétante dans laquelle se trouve les filles Burkinabè. Au Burkina Faso, pays des hommes intègres, être une fille, surtout venant d’un milieu défavorisé vous fait courir plusieurs risques. Mutilation génitale, mariage forcé, viol, exploitation d’enfants etc. sont plusieurs maux dont peuvent être victimes les filles. Dans ce pays où le taux de pauvreté reste encore très élevé, les causes de tels actes sont multiples. Dans une interview accordée à jeuneafrique.com, Blandine Thieba, gynécologue-obstétricien, présidente de la société des gynécologues et obstétriciens du Burkina Faso dit que c’est ancestral. « Ce sont souvent pour des raisons sociales, culturelles et parfois économiques. Encore aujourd’hui, une grossesse avant le mariage est une honte et un déshonneur pour beaucoup de familles. Pour éviter cette situation, les familles préfèrent donner leurs filles en mariage dès que les premières menstruations apparaissent » explique-t-elle. Une explication qui rejoint celle de Ida Tamini. « Il y a certaines dispositions socioculturelles dans certaines régions qui favorisent le phénomène du mariage des enfants. Pour certaines communautés, les filles ne doivent pas avoir leurs premières règles à la maison. Derrière cela il y a la peur du risque de grossesse à la maison. Dans la grande majorité des communautés, une grossesse hors mariage est source de déshonneur pour la fille et d’humiliation pour sa famille. Ainsi pour éviter cela les familles préfèrent marier les filles précocement » dira-t-elle. Elle ajoute, toujours en parlant de ces causes, qu’il y a la discrimination basée sur le genre. Aussi, suivant les normes sociales, les filles servent à nouer des alliances matrimoniales entre les familles qui consolident les liens entre celles-ci. Les filles se voient obligées d’accepter des mariages de peur d’une exclusion sociale en cas de refus.
Mais s’il est source de consolidation de liens entre des familles, le mariage forcé a plusieurs conséquences pour les filles mais aussi pour la société. Une étude menée en 2017, selon Ida Tamani, montre que le mariage des enfants a aussi des conséquences sur le développement des pays. L’étude montre par exemple que la fin du mariage des enfants au Burkina Faso pourrait générer des revenus et une productivité de 179 millions de dollars. Blandine Thieba, renchérit pour ajouter qu’ne jeune fille peut être victime de lésions génitales importantes, surtout si le conjoint – qui est le plus souvent un homme mature – ne parvient pas à s’y prendre avec douceur. « Ce jeune corps qui subit une grossesse n’a pas fini de se développer, ce qui engendre des complications (accouchement prématuré, rupture utérine, fistule obstétricale…). Chaque année au Burkina Faso, des milliers de jeunes femmes meurent des suites d’un avortement clandestin » selon la gynécologue-obstétricienne. Face à ces pertes, le Gouvernement Burkinabè ainsi que les institutions internationales mènent plusieurs combats pour éradiquer le phénomène.
Ne m’appelez pas Madame…
Une fille instruite, c’est l’assurance d’une belle nation dira la chanteuse béninoise Zeynab, pour sensibiliser avec Unicef sur le droit des enfants notamment les filles. Dans tous les pays où elle est présente, l’Organisation pour les droits des enfants met un point d’honneur à informer mais aussi sensibiliser sur ces genres de pratique. Au Burkina Faso, l’Unicef a lancé en mars 2019, une campagne pour lutter contre le mariage précoce et réduire le phénomène d’ici 2030. La campagne dénommée « ne m’appelez pas madame » est un message poignant pour rappeler qu’il faut un certain âge pour être une dame. « Madame, c’est pour les femmes, pas les enfants. Nous voulons rappeler qu’une personne de moins de 18 ans est un enfant. Cette expression vient d’une illustration faite par l’illustrateur franco-burkinabè Damien Glez. Elle avait accompagné une lettre ouverte d’une jeune fille, « la fille du Faso » que l’UNICEF avait publié dans plusieurs médias nationaux et sur les plateformes en ligne de l’organisation. Le message nous a semblé fort et très explicite, nous avons décidé de le garder pour cette campagne pour l’accélération de l’abandon du mariage d’enfants » explique la spécialiste Genre et Développement Ida Tamani.
Atelier silmandé est un centre qui agit pour et avec les enfants et a pour but d’apporter son savoir dans la lutte sur toutes les formes pour le bien-être des enfants. Patrick Kabré est un artiste musicien Burkinabè. Pour la cause des enfants, il a apporté sa touche à la campagne de l’organisation internationale. Dans un langage accessible, il a incité les parents mais aussi les enfants, à travers un clip vidéo, à dire non au mariage précoce qui est une monstruosité, un crime selon lui. Pour le Musicien, L’art est comme le vent. « On a jugé nécessaire que pour atteindre le maximum de personnes et les sensibiliser le bon canal est de passer par une chanson composée sur le thème, chantée par une fille. Pari réussi car on voit les résultats à travers les différentes réactions sur le sujet. On a créé la polémique et cela est nécessaire pour un dialogue vers la recherche de solution » nous explique Patrick Kabré. Et pour que ce que Patrick Kabré qualifie de monstruosité prenne fin, Ida Tamani préconise d’accentuer les alliances avec les leaders religieux et coutumier pour un engagement plus grands dans la lutte pour changer les normes sociales discriminatoires, une des causes des mariages, d’accroitre la scolarisation des filles au Post primaire et au secondaire. Espérons donc !